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Posté le 8 juin 2012 dans écrits / notes -> lien permanent
L’invisible Numérique, Clermont-Ferrand

Voici les notes qui m’ont servi pour l’inrevention que j’ai faite le Mercredi 6 juin à la journée d’étude (les infos en bas) L’invisible numérique à Clermont-Ferrand.

 

Tant que l’on considère l’art numérique comme quelque chose d’étranger à l’art , il faudra trouver comment le communiquer, comment le vendre, comment le définir et comment en faire….

Si on le marginalise, c’est qu’on ne le reconnait pas comme de l’art à part entière.

Finalement est- ce qu’il y a un art numérique ?

Je ne suis pas un scientifique. Et même si j’écris et réfléchis beaucoup je reste quelqu’un de pratique.

Aujourd’hui je fais principalement des films. J’ai un pied dans le cinéma, un pied dans les arts plastiques et l’art contemporain et un pied dans le numérique… ce qui n’est pas pratique.

 

Mon histoire avec l’art numérique 

 

Je suis venu aux nouvelles technologies par curiosité. J’étais étudiant en art — à la recherche de ma pratique: perdu en dessin, perdu en peinture. Je me suis essayé à la vidéo et à l’infographie. On m’a enseigné ce qu’était l’art vidéo. Par contre on ne m’a rien dit des pratiques artistiques liées à l’électricité, à l’électronique et aux ordinateurs… Je n’y pensais même pas. Et puis j’ai trouvé un trésor. Parce que j’étais agité et assidu, on m’a confié les clefs d’une petite salle dans laquelle dormait une silicon graphics. Le mode d’emploi de Softimage était trop redoutable et personne ne s’y aventurait. On m’a proposé de m’y coller. Et effectivement cela ne m’a pas plus. Par contre derrière la machine il y avait une petite prise jaune qui laissait croire qu’on pouvait y brancher de la vidéo et en cherchant comment mélanger la vidéo que je découvrais et l’informatique j’ai découvert internet. Un truc dont je n’avais jamais entendu parler… en 95. Il y avait des gens à l’autre bout de la planète ! ils m’ont raconté plein de choses. Ils publiaient pleins de choses. J’ai moi aussi commencé à voir ce que je pouvais faire. J’ai commencé à rendre des travaux de pratique plastique en ligne à l’université et cela a été accepté … Je ne me suis pas posé beaucoup de questions théoriques au début. Mais on m’a demandé de creuser. Alors je l’ai fait. Et c’est comme cela que j’ai construit les bases de mon travail actuel. En questionnant la pratique au travers de la théorie. Je cherchais la vérité. Je cherchais à savoir ce que je faisais. Je cherchais à comprendre ce qu’il fallait que je fasse.

Un jour, je m’en souviens bien — en 2001 — lors d’une discussion effrénée j’ai senti que quelque chose basculait. Comme si la boucle théorique avait fait sa dernière révolution et que le cycle était fini. Tout était clair. Tout ce qu’on racontait ne me servait plus à rien.

Je n’avais plus besoin de construire de dispositif théorique pour me sentir légitime dans ma pratique ni pour reconnaître ma place dans celle des autres. Je n’avais plus besoin d’outil pour ça. Et j’ai compris la place de cette théorie dans mon rapport à l’art. j’ai compris l’importance de l’outil en général…

J’en avais eu l’intuition en fondant en 99 avec Stéphane Pouyllau et Marie Perez le collectif de recherche qui s’appelait metamorph. Notre objectif était de comprendre la place de l’outil dans les démarches de production en comparant le travail d’historiens, d’archéologues, de géographes et de plasticiens. Ce que nous avons pu voir c’est que contrairement aux autres chercheurs, les plasticiens faisaient de l’outil le sujet alors que les autres s’en servaient à leurs fins. À la fin les plasticiens ne parlaient plus que de choses seulement compréhensibles par eux rappelant l’argumentaire trop souvent autoréférentiel de l’art dit contemporain qui ne s’occupe que de sa légitimité à être de l’art…

Depuis je n’ai pas enseigné autre chose que la prise de conscience de la place de l’outil dans la pratique — quelle qu’elle soit.

On me demande tout le temps de venir poser une étiquette à côté de mon nom ou à côté de mes oeuvres. Je laisse la plupart du temps mes interlocuteurs décider. Je n’y accorde vraiment pas d’importance. Si cela me choque, je le dis. Mais je laisse la plupart du temps passer.

Pourquoi je ne défends par l’art numérique ? Parce que je n’y trouve pas de sens. Pour moi il y a l’art et puis c’est tout. Qu’une oeuvre soit peinte ou pas, j’estime que ce qui compte  en premier lieu c’est la relation que je vais construire avec elle, que chacun va pouvoir construire indépendamment de ce qu’on lui imposerait.

Je me dresse contre les ghettos intellectuels. Enfermer des oeuvres dans une vision labellisée ne même à mon sens à rien (si ce n’est à la catastrophe). Si c’est la forme que cela doit prendre pour qu’une csp daigne y porter attention, c’est que le problème dépasse le champ de l’art.

Pour parler de la catastrophe quand même voilà quelques mots. Je reparle encore dans mon expérience. J’ai fait des choses avec internet. J’ai développé des projets d’expression plastique et conceptuelle. Il y a peut-être des oeuvres parmi ce que j’ai fait. Donc ce sont des choses avec internet… de l’art peut-être. Alors est-ce que de l’art fait avec internet c’est forcement du netart ? Le netart est venu défini par vuk Cosic dans un espace très précis. Je ne sais pas si c’était sérieux ou si c’était une boutade. Mais en tout cas l’apparition de ce terme qui n’était pas un mouvement dans tous les cas a déclenché des foudres de passions. Les oeuvres qui utilisaient internet en étaient-elles ou pas ? Quelle définition? Quel cadre? Quelles contraintes, quel programme…. etc.. Pour faire du netart est-ce que les oeuvres doivent rentrer dans un cahier des charges ? Est-ce que c’est le moyen d’être reconnu ?

Je m’échappe du champ numérique pour aller vers le cinéma. Rappelez-vous Lars Von Trier quand il lançait son Dogme en 1995. Il bouleversait des dizaines des cinéastes. Il semblait redonner du sens au geste de cinéma. Mais quand on le prenait au sérieux, lui mettait un coup de pied dans le panier. Ces règles étaient là pour être transgressées. Il n’était aucunement possible de faire des films meilleurs simplement en se contraignant au cahier des charges.

Et c’est une des plus belles leçons sur l’usage créatif de l’outil que de manifester son programme dans la perspective de le détourner, de le forcer, pour faire vivre quelque chose au-delà de ce qui est fait que l’on puisse faire.

 

L’outil 

 

Nous, occidentaux avons élaboré siècle après siècle une stratégie de vie cadrée sur les idées que nous avons sur le monde et la foi dans les concepts qui les sous-tendent.

Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. 

René Descartes, Discours de la méthode (Dezobry, 1863). Page 70.  

L’appareil photo est programmé à produire des photographies, et chaque photographie réalise une des possibilités qu’offre le programme de l’appareil. Le nombre de ces possibilités est élevé, mais fini : c’est le nombre de toutes les photographies qui peuvent être prises par un appareil. Certes, en principe, on peut toujours reprendre une photographie de la même manière ou d’une manière très analogue ; mais pour ce qui est de photographier, voilà qui n’a aucun intérêt.

Vilèm Flusser, pour une philosophie de la photographie / circe, 2004

L’homme limite son activité au contrôle du fonctionnement de la machine.
Il est à son service. La prise de l’homme sur l’outil s’est transformée en prise de l’outil sur l’homme. Ici il faut savoir reconnaître l’échec. Cela fait une centaine d’années que nous essayons de faire travailler la machine pour l’homme et d’éduquer l’homme à servir la machine. [•••] Durant un siècle, l’humanité s’est livrée à une expérience fondée sur l’hypothèse suivante : l’outil peut remplacer l’esclave. Or il est manifeste qu’employé à de tels desseins, c’est l’outil qui de l’homme fait son esclave.  [•••] L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place. Il a besoin d’une technologie qui tire le meilleur parti de l’énergie et de l’imagination personnelles, non d’une technologie qui l’asservisse et le programme.

Ivan Illich, la convivialité

Les ordinateurs sont des machines incroyablement puissantes. Elles sont le résultat d’une somme inimaginable de synthèses.

 

L’histoire dont nous avons besoin

 

Pensons un instant aux marins pécheurs qui du 16e siècle jusqu’à après la Seconde Guerre mondiale on bravé les océans pour de campagnes de cinq à six mois. Pensons à ces hommes qui travaillaient dans des conditions extrêmes la pendue à un fil, l’alcool comme seule voie, qui dormaient, mangeaient dans une puanteur difficilement imaginable. Ces homes qui haïssaient leur travail au plus profond d’eux, mais qui revenaient fiers. J’aime cette idée de la nécessité vertu.

Si l’on fait le choix — aussi peu conscient que l’on puisse croire-  de la manière dont on conçoit l’être que l’on est par nécessité, c’est pour souligner ce sentiment d’exister dont on a besoin.

Je parle de la nécessité de faire corps avec l’objet. De l’impossibilité à vivre le travail hors de cette symbiose. Est-ce que l’art ce n’est pas quelque chose dans lequel on s’engage complètement ? Quelque chose de magique qui fait vibrer toutes les cordes de l’âme ? Comment l’art peut-il devenir un problème intellectuel ? Quand revient-on à un questionnement ? L’art à mon sens est fait d’action. C’est quelque chose qui se joue au présent.

Le menuisier dit que le bois travaille.
Le marin dit que le bateau travaille.

Qu’y a-t-il de compliqué à dire de l’ordinateur qu’il travaille ? Et bien c’est que ce n’est pas une expression, ce n’est pas quelque chose qui relève de la foi, ce n’est pas une idée-outil : l’ordinateur travaille effectivement. Il travaille à la place de l’homme et de temps à autre celui-là sait qu’il y a quelque chose qui lui donne une force qui n’est pas la sienne….

Il y a une réelle difficulté pour discerner ce qui est fait par l’artiste de ce qui est fait par l’ordinateur. Et ce dans le champ de la culture des logiciels : on sait qu’il y a des logiciels de retouche de photo et de vidéo, des logiciels de sons, mais pas tellement qu’il y a des logiciels pour développer l’interactivé. Alors on suspecte moins l’interactivité d’être simplement produite par l’ordinateur… La machine devient magique.

Mais qu’est-ce qui est important ? Le résultat ? L’histoire qu’on va se raconter ?

 

Abondance des images, abondance de l’art

 

Où va la mémoire ?

De jour en jour le besoin s’impose de façon plus impérieuse de posséder l’objet d’aussi près que possible, dans l’image ou, plutôt, dans son reflet, dans sa reproduction. […]

Sortir de son halo l’objet, détruire son aura, c’est la marque d’une perception dont le « sens de l’identique dans le monde » s’est aiguisé au point que, moyennant la reproduction, elle parvient à standardiser l’unique. […]

L’alignement de la réalité sur les masses et des masses sur la réalité est un processus d’immense portée, tant pour la pensée que pour l’intuition.

Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique / 1935

Il y a quatre ou cinq ans, deux graphistes plutôt célèbres et habitués des beaux contrats ont vu apparaitre sur des canettes de Perrier quelque chose qu’ils ont reconnu comme le plagiat de leur travail.  Un graphiste espagnol avait répondu à l’appel d’une agence, etc. Mais il ne les connaissait pas.

Avait-il vu leur travail quelque part ? Des reproductions, des copies…. C’est possible.  Mais leur travail aussi brillant soit-il, aussi singulier soit-il vit au travers d’un dessin très attaché à ce que fait le logiciel illustrator. Leur vocabulaire repose sur celui du logiciel. Je dirais même qu’ils ont le style illsutrator. C’est-à-dire qu’en explorant les motifs floraux et les branchages (qu’ils utilisent à foison) il est possible que sans les connaitre on les plagie.

Qui est l’auteur? Ce lui qui a produit la forme ou celui qui a écrit le potentiel ?

Golan Levin crée des interfaces qui permettent à partir de l’enregistrement du geste de rentrer en création et de produire par interaction des images, de la musique, etc. Mais qu’est ce que cela signifie que de construire et considérer des machines a potentiels comme oeuvre ?

 

Démocratisation

 

Si les hommes créent ou fantasment des machines intelligentes, c’est qu’ils désespèrent secrètement de leur intelligence, ou qu’ils succombent sous le poids d’une intelligence monstrueuse et inutile : ils l’exorcisent alors dans des machines pour pouvoir en jouer et en rire. Confier cette intelligence à des machines nous délivre en quelque sorte de toute prétention au savoir exhaustif comme de confier le pouvoir à des hommes politiques nous permet de rire de toute prétention à gouverner les hommes.
Si les hommes rêvent, contre toute évidence, de machines originales et géniales, c’est qu’ils désespèrent de leur originalité, ou qu’ils préfèrent s’en dessaisir et en jouir par machines interposées. Car ce qu’offrent ces machines, c’est d’abord le spectacle de la pensée, et les hommes, en les manipulant, s’adonnent au spectacle de la pensée plus qu’à la pensée même. […]

Jean Baudrillard, Le Xerox et l’infini / Traverses 44-45, Machines Virtuelles, Revue du centre Pompidou, 1988

Cf frank  -> munch et la fenêtre du montage -> voir ->  La fenêtre peinte

 

Expérimentations & avant-garde : écrire l’invisible

 

La relation entre le public et les films d’avant-garde a toujours été difficile, plus que celle entre le public et d’autres formes d’art. C’est lié au fait que la cinématographie a été inventée pour enregistrer la réalité et la reproduire. Tout le langage cinématographique s’est construit autour de cette attente du public de voir la réalité. Toutes les règles du langage cinématographique de Hollywood sont basées sur l’illusion de voir la réalité. Quand je regarde une peinture, je suis totalement conscient qu’elle a été peinte par quelqu’un d’autre. Quand je regarde un film, j’ai inconsciemment l’impression que l’image est en quelque sorte produite par moi-même. Cela veut dire que l’auteur se cache derrière ces images, l’auteur qui est à  l’origine de ces images. En revanche, quand je présente des images cinématographiques qui ne donnent pas l’illusion d’être la réalité – ce que le film d’avant-garde fait de manière exemplaire – je provoque chez le public une réaction beaucoup plus virulente que quand il regarde une peinture. Quand je regarde un tableau, je peux me dire :  » Ca ne me plait pas, c’est abstrait, je ne m’y reconnais pas, aucune idée de ce que le peintre a voulu dire. » Quand je vois un film avant-gardiste qui contredit fortement les perceptions codées de la réalité, c’est comme une attaque de ma propre perception. De là  vient ce grand refus du film avant-gardiste par le public, ce qui vaut pour toute l’histoire de ce genre.

Peter Tscherkassky, réalisateur, entretient extrait, Magazine Court-Circuit, arte, 2000

Il n’est pas question d’essayer de déceler une nouvelle avant-garde… Mais est-ce que toutes les pratiques multimédias qui donnent lieu à de l’art ? N’y a t’il pas du cirque, de la foire, des jeux ? N’est-ce pas aussi noble ?

 

Prisonnier de l’idéologie scolaire, l’être humain renonce à la responsabilité de sa propre croissance et, par cette abdication, l’école le conduit à une sorte de suicide intellectuel.

Ivan llich, Une société sans école / p. 106, Éd. du Seuil, coll. Points n° 117

 

 

Communiquer l’invisible

Organisées par le Laboratoire Communication et Solidarité (UFR LACC) et l’Axe Dynamique Interculturelle de la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand.

14h-17h : Après-midi organisée et animée par Elise Aspord, Historienne des Arts Médias

Dans l’art contemporain français, il est un continent, sans routes, celui de l’art numérique. Ce dernier est-il un média, au sens où il est accessible au plus grand nombre ? Le fait est que peu d’auteurs du numérique sont connus du grand public, notamment en province.
D’aucuns objecteraient que les choses évoluent, que de nombreux essais critiques voient le jour (DICCAN), que des incubateurs mêlant art, technique et industrie… éclosent un peu partout sur notre territoire (Le Cube (2000), la Gaité Lyrique (2010) ; Imaginarium de Tourcoing et Roubaix (2012) ; Astu’Sciences, Auvergne (2010)). Or c’est justement de ces questions – art numérique visible ou invisible ? – que cette journée se veut l’écho.
L’art numérique, l’art informatique, l’art des technosciences…, fait appel à l’utilisation, par les artistes, des technologies les plus avancées (réalité virtuelle, réalité augmentée, interactivité, multimédia, robotique…). Les oeuvres ainsi créées appartiennent alors au monde invisible du calcul, de la matière…
La table ronde s’articulera autour de deux parties, la première interrogeant la visibilité de l’art numérique dans l’espace institutionnel, public ; la deuxième consacrée à l’identité de l’artiste, à ses stratégies de communication et à sa redéfinition face aux avancées technologiques et à l’outil ordinateur.

Interventions

Maison des Sciences de l’Homme
rue Ledru à Clermont-Ferrand.

 

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