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Posté le 10 février 2011 dans Après le feu, évènements, presse / textes -> lien permanent
Nicole Brenez :
Poèmes Argentiques Contemporains, Génie De L’instable

Après le feu présenté par Nicole Brenez dans sa conéfernce au Fresnoy le 10 Février 2011

« Au moment où l’argentique est réputé disparaître, fleurissent les poèmes visuels, souvent élégiaques, parfois aussi apocalyptiques, qui se consacrent à  déployer les effets de la lumière sur la pellicule dans un contexte documentaire. S’inscrivant dans une longue tradition qui court des opérateurs Lumière et Kahn à  Hollis Frampton en passant par Rudy Burckhardt et Charles Sheeler, aujourd’hui Peter Hutton, Leigton Pierce, Robert Fenz, Alexandra Cuesta, F. J. Ossang continuent de sculpter des empreintes lumineuses pour en observer les radiations et le bougé, les approximations et les insistances. ‟ Le numérique est une circulation permanente d’électrons î tandis que l’argentique est une élévation hors du noir premier, comme l’icône î 24 images fixes par 24 images fixes… ” (F.J. Ossang, 2004). Derniers feux d’artifice ? Le vocabulaire plastique des intermittences lumineuses semble loin d’être épuisé.[...]

En s’appuyant sur des réflexions de Jean-Luc Godard lors d’un échange privé, Jean-Pierre Beauviala, le créateur d’Aaton, y définit les différences entre le support argentique et la logique numérique, selon un critère principal : la stabilité. Au cours d’une conversation, rapporta Beauviala, Godard lui expliqua qu’au cinéma, chaque photogramme garde une empreinte structurée de manière différente, à  cause du défilement pelliculaire et de la répartition aléatoire des sels d’argent pourtant à  concentration identique. Au contraire, disait Godard, l’image numérique est issue de la traduction par le capteur CCD, petite plaque fixe et invariante portant une grille de cellules, des intensités lumineuses en flux électriques1. Autrement dit (c’est moi qui parle), l’arrivée du numérique permet de ressaisir a posteriori une spécificité constitutive de l’image argentique : son instabilité. [...]

Parmi les artistes qui continuent aujourd’hui de sculpter les empreintes lumineuses pour en observer les radiations et le bougé, les approximations et les insistances, il faut mentionner, parmi beaucoup d’autres, l’allemande Helga Fanderl, l’américain Robert Fenz, le new yorkais Jem Cohen, le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul et en particulier ce moment exceptionnel dans l’histoire des images, qui voyait un homme spontanément s’embraser dans la jungle (intallation Primitive, 2009)… De telles initiatives texturelles et temporelles métamorphosent les phénomènes à partir d’eux-mêmes à l’instar des bombes, bouquets, embrasements, cascades ou soleils propres à la pyrotechnie. Mais pour conclure, évoquons un auteur qui inverse la partition décrite par Jean-Luc Godard et Jean- Pierre Beauviala, et travaille à ce paradoxe de conserver et infuser des valeurs argentiques dans le cinéma numérique : Jacques Perconte. Par quelles voies et pour quel dessein inverser les vapeurs de l’histoire technologique ?

Tout d’abord, Jacques Perconte organise sa pratique autour d’un principe structurant : l’imprécision. Il résume celui-ci en une paradoxale formule : « sculpter l’imprécision née des mathématiques ». Cela consiste à expérimenter de nombreux logiciels et choisir ceux qui présentent, selon le terme de Jacques Perconte, une « flexibilité » : « j’essaie et j’apprends énormément d’outils – de logiciels pour trouver ceux dont les limites sont flexibles et que l’on peut pousser. Je cherche ceux qui ne fonctionnent pas très bien et dont les mauvais fonctionnements peuvent être qualitatifs pour moi. » Jacques Perconte détourne alors les programmes qui permettent d’engendrer l’image à partir d’ « erreurs » ou de dérèglements dans la continuité des calculs de compression et de décompression. À ce titre, dès les années 1990, son oeuvre a anticipé les écritures du glitch, aujourd’hui proliférantes en musique comme dans les arts visuels.

Ensuite, l’ancrage esthétique de Jacques Perconte revendique les puissances de l’impression, aux sens à la fois phénoménologique et pictural. « Pour la plupart de mes films, avant chaque image, il existe un phénomène vibratoire naturel d’une force magique, une lumière qui m’emporte. Un sentiment qui me déstabilise. Alors j’enregistre, tout en sachant que cela sera différent. Que je ne retrouverai jamais cette brise. Parce que la technologie ne saura pas voir ce que je vois, et qu’avec ses délicats défauts (ses spécificités) elle me permettra peut-être de révéler quelque chose d’où émaneront de nouvelles ondes fondamentalement reliées aux premières ». Le dernier film à ce jour de Jacques Perconte, Impressions (2011), tourné en Normandie en HD et pour lequel il a inventé un programme spécifique de déréglement et de répétition aléatoire des accidents, revient sur quelques-uns des sites emblématiques de la peinture impressionniste dont la puissance simultanément visuelle et historique, tel un ouragan plastique, oblige à désorganiser et réinvestir les limites des ressources numériques. Impressions créées de nouvelles formes de montage par fragmentation et fondus sylleptiques, qui installent, désinstallent, confrontent et refondent avec systématicité la luminosité de l’image haute définition avec les couches et sous-couches de ses échafaudages de pixels. Il en naît une stupéfiante pâte optique constituée de greffes et de regreffes, une nouvelle palette née in situ, et un rendu du paysage normand sous forme d’une explosive complexité texturelle et chromatique. Le numérique soudain semble lancer une nouvelle asymptote vers le sensible. Enfin, faisant rebasculer le numérique du côté de l’empreinte analogique, l’image figure son engendrement symbolique à partir du motif lui-même (et non de l’outil). Dans son film Après le feu (2010), Jacques Perconte renoue involontairement mais directement avec la littéralité de l’imagerie grâce à laquelle Henri Langlois rattachait les gares Saint-Lazare de Monet à l’impondérable des Lumière : ce qui ne se joue pas seulement dans le choix du motif (un travelling avant en train, comme dans les panoramas de Félix Mesguisch, cette fois en Corse), mais dans le travail effectué à partir des poussières et taches qui recouvrent la vitre de la cabine de pilotage. À partir en effet de cette poussière d’aléa, Jacques Perconte engendre des logiques de propagation « glitchées » par où ruissellent les apparitions chromatiques, travaillées dans leurs capacités à produire des différenciations cinétiques incontrôlables. Le travail de Jacques Perconte rend un hommage flamboyant au génie instable de l’argentique perfusé dans le numérique.»

 

 

Poèmes argentiques contemporains, génie de l’instable

Au moment où l’argentique est réputé disparaître, fleurissent les poèmes visuels, souvent élégiaques, parfois aussi apocalyptiques, qui se consacrent à  déployer les effets de la lumière sur la pellicule dans un contexte documentaire. S’inscrivant dans une longue tradition qui court des opérateurs Lumière et Kahn à  Hollis Frampton en passant par Rudy Burckhardt et Charles Sheeler, aujourd’hui Peter Hutton, Leigton Pierce, Robert Fenz, Alexandra Cuesta, F. J. Ossang continuent de sculpter des empreintes lumineuses pour en observer les radiations et le bougé, les approximations et les insistances. ‟ Le numérique est une circulation permanente d’électrons î tandis que l’argentique est une élévation hors du noir premier, comme l’icône î 24 images fixes par 24 images fixes… ” (F.J. Ossang, 2004). Derniers feux d’artifice ? Le vocabulaire plastique des intermittences lumineuses semble loin d’être épuisé.

Colloque LUMIERES DES LUMIERE | Le Fresnoy, Tourcoing
Poèmes argentiques contemporains, génie de l’instable

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EN COLLABORATION AVEC L’UNIVERSITE DU QUEBEC A MONTREAL (UQAM) ET SCHOOL OF IMAGE ARTS, RYERSON UNIVERSITY A TORONTO

La physique moderne nous l’a appris : la lumière, c’est de la matière. Tout corps, vivant ou inerte, n’est visible que parce qu’il émet des particules appelées photons. Mais, à  l’opposé de cette matérialité de la lumière, il y a son immatérialité : les images des projections lumineuses semblent dépourvues de support physique si un écran ne les intercepte pas pour les rendre visibles. La question de la lumière est à  la fois au centre de sciences comme l’astrophysique, et au centre de disciplines artistiques comme la peinture, la photographie, le cinéma, les installations, les arts de la scène. La lumière éclaire aussi bien le théâtre de l’univers que le théâtre humain.

Organisé parallèlement à  la grande exposition que Le Fresnoy consacre à  Michael Snow, ce colloque qui réunira artistes, historiens, philosophes, scientifiques vise à  « faire la lumière sur la lumière » et, en tous cas, de croiser les lumières des spécialistes de diverses disciplines et cultures, en associant trois institutions : l’Université du Québec à  Montréal (UQAM), Ryerson University à  Toronto et Le Fresnoy – Studio national à  Tourcoing.

Les journées du 10 et du 11 février seront clôturées en soirée respectivement par un événement artistique et une projection de films.

LE FRESNOY
Studio national des arts contemporains
22 rue du Fresnoy – BP 179
59202 Tourcoing cedex
Tel : + 33 (0)3 20 28 38 00
Fax : + 33 (0)3 20 28 38 99
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