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Posté le 19 septembre 1998 dans au fil des projets, Ethor Tallek Valdu -> lien permanent
Ethor Tallek Valdu

En France, au 21ème siècle, dans une des dernières villes ouvrière, Ethor Tallek dit ‘Valdu’, enfermé dans les sous-sols de son usine,a pour la première fois envie d’écrire son histoire.
Ethor a la trentaine et déjà  presque vingt ans d’usine derrière lui. Tout ce qu’il a apprit, c’est à  boire, à  aller aux putes, et surtout à  ne penser à  rien.
C’est qui elle ?
Elle fait quoi ?
Maintenant qu’il se raconte, Ethor est complètement perdu. Est-ce que sa vie tient en une centaine de mots ?
Elle se résume à  quoi ?

*

Elle était très haute.
On y faisait du bruit.
Je vivais dans son ombre.

Je travaillais dans cette usine depuis que j’avais dix ans. Je n’avais pas eu de chance, pas eu de choix. Chacun a son histoire, la mienne, je ne la racontais pas.

Voilà  à  quoi je ressemblais, à  un ouvrier, le plus banal qui soit, celui à  qui on ne dit rien à  cause de son sourire en coin. J’étais l’un des plus jeunes et je les avais tous vu arriver, plus vieux les uns que les autres.

Qu’est-ce qu’on faisait dans cette usine ? Je n’en savais fichtrement rien… Ca m’aurait servi à  quoi ? Tout ce que je devais faire c’était arpenter ses allées, regarder ses murs, compter, ranger, déplacer et remuer de boîtes métalliques, occuper mon temps de sorte à  ne plus en avoir.

Quand j’étais petit j’imaginais être ailleurs. Je me voyais, entouré de vert et de couleurs claires, baigné dans une lumière bien plus pure que celle qui me brà»le les joues le dimanche quand je me réveille d’une de ces douloureuses cuites.

J’ai pensé que je n’avais qu’elle. Cette usine, c’est tout ce que je connaissais. Comme si c’était du passé. Il m’arrivait souvent de me retrouver dans l’un des petits dépôts qui longent ses murs, défroqué, abandonné par la pute que j’y avais trimbalé… Au début elles me piquaient mon argent, tout. Maintenant, elles ne prennent que ce que je leurs dois. Elles me connaissent. Moi je ne les reconnais pas et je m’en fou…

Il m’arrivait… Maintenant c’est inévitable. Je ne rentre presque jamais voir ma mère. Pour quoi faire ?

Je bois, je baise, je vomis, j’essaie de vivre contre les murs de cette usine. Mais je suis toujours dans l’ombre.
Si j’habitais de l’autre côté, est-ce que cela serait différent ?

Il y a quelques jours j’ai éclaté une des fenêtres qui donne sous le sol, près des rivières de déchets.
Je m’installe dans son ventre.
J’y ai même amené une brune, une sale, comme je les appelle. Elle a pas voulu crier cette grue. Je l’aurai bien tuée, j’avais attrapé une hache. Mais pour quoi faire ? C’est pas à  elle que j’en voulais.

Je crois qu’elle a eu pitié de moi, sà»rement parce que j’aurais pu être son fils. J’avais déjà  des parents.
Elle est revenue.

Je n’allais plus aux putes, c’est elle qui venait. Je ne la baisais plus. Je ne pouvais plus regarder son cul… C’est cette usine que je voulais défoncer.
Et elle revenait.

Elle m’a dit que je n’allais plus travailler. Qui le savait à  part le petit panneau où j’enfilais mon nom griffonné sur du carton ? Elle m’a dit qu’elle avait peur. De qui ? De moi ? Pourquoi ? Elle a bêtement essayé de me sortir de là … « Allez ! viens ! Tu ne peux pas rester comme ça ! » Que je vienne où ? rester comment ? je n’ai jamais su ce qu’elle avait essayé de me dire. Et dieu sait – s’il existe î que j’ai essayé d’en parler avec elle. Mais elle ne dit plus rien. Elle ne bouge plus. Je ne sais même pas si elle est encore là .

Ce matin, j’ai essayé de retrouver cette fenêtre que j’avais cassée. Pas moyen de me rappeler où elle était. C’était peut-être hier soir. Je ne sais plus. En tout cas, il fait encore nuit et je suis presque sà»r de ne jamais être sorti de cette pièce.

On verra demain.

 

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