Cet article a été publié par Nadia Vadori à la suite de la conférence du 28 Octobre à l’Observatoire des nouveaux médias. Retrouvez le sur le site original : Un pixel c’est uniquement de l’amour.
Peut-on ou non trouver de l’amour dans un code informatique? Si oui, cet amour est-il quantifiable? Existe t-il des films pornos abstraits? Peut-on rendre à une peinture sa véritable dimension numérique? Les corps vivants sont-ils aussi numériques? Internet est t-il un matériau premier? Ce matériau peut-il être soumis à des convulsions organiques? Les pixels sont-ils une matrice? Les images numériques ont elles une temporalité? Y a t-il des images-temps? Peut-on sauver, une bonne fois pour toutes, la planète en un clic de souris? Peut-on faire une donation à un artiste pour sortir le monde de la crise?
Autant de questions auxquelles Jacques Perconte, artiste du web, nous invite avec humour à répondre par l’affirmative.
Car nous voilà effectivement entrés au pays des merveilles compris entre 0 et 1. Ici, tout est matière poétique: les stigmates numériques, les défauts de chargement d’une page, les codes java, la compression… On ne se demande plus si le netart existe, c’est une affaire entendue. La question que l’on se pose ici est celle du numérique comme pouvant être une matière vivante et sensible, un matériau premier d’expression.
Depuis le premier ordinateur qu’il a eu entre les mains en 1995, Jaques Perconte a travaillé cette matière dans tous les sens, comme on pétrit, triture, modèle. Mais pour sculpter une telle matière il faut la mélanger. Le numérique est ici un matériau composite aggloméré, fait de pixels de regard, de pixels de temps, de concept, de vision, de réflexion sur l’interaction au monde, de pixels de sexe, de fractionnement, de beauté et d’imaginaire. C’est une matière plastique modifiable à l’infini, un matériau-mémoire portant la trace de toutes ses compressions successives, de ses cicatrices, de ses rides et de ses ruptures de codes. C’est l’empreinte directe du système nerveux d’un artiste tissée de ses perceptions, de son rythme organique, de la profondeur de ses questionnements, de ses fantasmes pornographiques, de sa qualité d’humain dans un monde en crise, de sa contemplation du corps nu d’une femme qu’il aime, de sa passion exigeante pour la perfection carrée d’un pixel, de son sens poétique de l’absurde, de son expérience du temps.
Car Jaques Perconte prend le temps. Dans un web en prise de vitesse qui fonctionne à haut débit, il passe des mois sur un film. Il laisse se déposer des strates. Il fait de l’archéologie numérique, il creuse, superpose, enfouit, exhume. Car il travaille également avec des images passées : toiles de Van Gogh qu’il décompose en nuanciers pour les intégrer dans un nouvel espace conceptuel, films italiens des années soixante dix qu’il réinjecte dans la folie ordinaire de la fragmentation des flux numériques, toiles de Barnett Newman, dont il réactualise la texture comme on remonte des trésors du fond de l’eau pour les faire vivre autrement. Le passé devient futur. L’esprit de l’artiste convoque la mémoire pour la tisser à travers son corps dans une matière actuelle et agir sur le futur. Nous somme proches de la perspective de Bergson dans “Matière et mémoire“.
Le regard de Jacques Perconte est ancré dans notre époque. Il s’est développé en même temps que la technologie qu’il utilise et dont il a fait une matière organique, émotionnelle.
Par ce matériau, qui est sa peau, son système nerveux étendu, il interroge le monde et ses images nous parlent de nous. Car c’est dans cette immersion même, entre sensation et image, corps et technologie, que nous nous trouvons. Nos développements externes sont un miroir de nos systèmes internes. Et si nous nous y regardons de plus près, un peu de côté, et que nous pénétrons entre deux couches de compression, il se pourrait qu’on tombe sur une balise qui nous réveille et qui déclare: ‘It’s all about love!’