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Posté le 9 octobre 2009 dans aujourd'hui, Satyagraha Paname -> lien permanent
Gandhi / Sur La Non Violence, La Non Coopération, La Résistance.

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Je dois peut-être au public de l’Inde et au public de l’Angleterre que ce procès a principalement pour but d’amadouer, de leur faire connaître pourquoi, de loyaliste et de coopérateur fervent, je suis devenu désaffectionné et non-coopérateur intransigeant. Je devrais dire également à  la Cour pourquoi je me reconnais coupable d’avoir encouragé la désaffection envers un Gouvernement établi en Inde par la loi.
Mon activité publique commença en 1893 en Afrique du Sud, à  un moment critique. Les premiers rapports que j’eus avec les autorités britanniques de ce pays ne furent point agréables. Je découvris que je n’avais comme homme et comme Indien aucun droit; ou plus exactement je découvris que je n’avais aucun droit, parce que j’étais Indien.

Cela ne me dérouta point. Je me dis que cette façon de traiter les Indiens était une excroissance d’un système de gouvernement bon en soi. Je lui donnai donc ma coopération loyale et volontaire, le critiquant sans me gêner lorsque je considérais qu’il se trompait, mais sans jamais souhaiter sa destruction.

Aussi, lorsqu’en 1899 l’existence de l’Empire fut menacée par la guerre des Boers, je lui offris mes services, je formai un corps de brancardiers volontaires et pris part à  divers engagements qui eurent lieu pour sauver Ladysmith. En 1906, à  l’époque de la révolte des Zoulous, je formai un corps d’infirmiers et servis jusqu’à  la fin de la révolte. Je reçus chaque fois la croix et fus cité à  l’ordre du jour. Pour mes services en Afrique du Sud, Lord Hardinge me remit la médaille d’or Kaiser-i-Hind*. Lorsqu’en 1914 la guerre éclata entre l’Angleterre et l’Allemagne, je formai un corps d’ambulanciers volontaires composé des Indiens qui se trouvaient à  Londres, étudiants pour la plupart. Son utilité fut reconnue par les autorités.

Enfin, lorsqu’en 1918 à  la Conférence de la guerre qui eut lieu à  Delhi, Lord Chelmsford fit un pressant appel pour l’enrôlement de la jeunesse, je me donnai tant de mal pour former un corps sanitaire à  Khedda que je compromis sérieusement ma santé. Ce corps allait être formé lorsque les hostilités prirent fin. Dans tous ces efforts, j’étais poussé par la conviction que des services de ce genre me permettraient d’obtenir pour mes compatriotes un rang égal à  celui des autres parties de l’Empire.

Le premier choc me vint sous forme des lois Rowlatt, qui furent prises pour voler au peuple sa véritable liberté. Je compris qu’il me fallait mener contre ces lois une agitation vigoureuse. Puis, ce furent les horreurs du Pendjab, qui commencèrent par le massacre du Jallianwala Bagh et arrivèrent à  leur point culminant, lorsqu’on donna l’ordre de faire ramper les gens sur le ventre, de les fouetter publiquement, et autres humiliations indescriptibles ; je découvris que la promesse faite par le Premier ministre aux musulmans de l’Inde, au sujet de l’intégrité de la Turquie et des lieux saints de l’islam ne serait point tenue. Et malgré ces présages, malgré les conseils de mes amis qui m’avaient mis en garde au congrès d’Amritsar en 1919, je soutins la coopération et l’application des réformes Montagu-Chelmsford, parce que j’espérais que le Premier ministre tiendrait sa promesse aux musulmans, que l’on panserait la blessure faite au Pendjab, et que les réformes, si peu adéquates et satisfaisantes qu’elles fussent, seraient le début d’une ère d’espérance pour l’Inde.

Mais tout l’espoir que j’avais nourri s’effondra; la promesse faite au Califat ne fut pas tenue, le crime commis au Pendjab fut blanchi, et la plupart des coupables non seulement ne furent pas punis, mais restèrent au service du Gouvernement et continuèrent à  émarger au Budget de l’Inde, certains même obtenant de l’avancement. Je me rendis compte également que les réformes n’indiquaient pas le début d’une transformation dans les sentiments du Gouvernement à  notre égard, mais une méthode pour épuiser l’Inde et lui prendre toutes ses richesses et pour prolonger sa servitude.

J’en arrivai à  contrecoeur à  la conclusion que notre association avec la Grande-Bretagne avait, au point de vue politique et économique, rendu l’Inde plus impuissante que jamais. Une Inde désarmée est incapable de pouvoir se défendre contre un agresseur si elle voulait se battre avec lui. C’est au point que certains de nos hommes les plus capables considèrent qu’il faudra à  l’Inde plusieurs générations, avant de pouvoir devenir un Dominion. Elle est si pauvre qu’elle ne peut guère résister aux famines. Avant la venue des Anglais, l’Inde tissait et filait suffisamment dans ses millions de chaumières, pour ajouter aux maigres ressources de l’agriculture ce qui lui était nécessaire. Cette industrie villageoise si vitale pour l’existence de l’Inde fut ruinée par des procédés inhumains et cruels décrits par les Anglais qui en ont été témoins. Les habitants des villes ne savent guère comment les masses de l’Inde à  demi mourantes de faim tombent dans l’épuisement, ils ne savent guère que leur méprisable confort provient du courtage qu’ils reçoivent de l’exploiteur étranger et que ce courtage et ces bénéfices, on les a arrachés aux masses. Ils ne se rendent pas compte que le Gouvernement établi par la loi en Inde n’existe que pour cette exploitation de masse. Nul sophisme, nul arrangement de chiffres, ne peut faire disparaître le témoignage évident des squelettes que l’on voit dans un grand nombre de villages. En tout cas, je suis certain que l’Angleterre et les habitants des villes de l’Inde, s’il y a un Dieu au-dessus de nous, auront à  répondre devant lui de ce crime envers l’humanité et envers l’histoire. Même la Loi, dans ce pays, est mise au service de l’exploiteur étranger. Mon étude impartiale des procès jugés par la Loi martiale du Pendjab m’a convaincu que 95% des condamnations n’auraient pas dà» avoir lieu; l’expérience que j’ai des procès politiques m’a amené à  cette conclusion que neuf sur dix des hommes condamnés étaient absolument innocents. Leur crime, c’était d’aimer leur pays. Dans 99 cas sur 100 dans les tribunaux de l’Inde, justice n’est pas rendue aux Indiens, alors qu’elle l’est aux Anglais. Je n’exagère pas. C’est l’expérience de tout Indien ayant eu quelques rapports avec ce genre de cause. Selon moi, l’administration de la loi, consciemment ou inconsciemment, s’est prostituée au service de l’exploiteur.

Le plus grand malheur, c’est que les Anglais et leurs associés indiens qui administrent le pays ignorent qu’ils commettent le crime dont je viens de parler. J’en ai la conviction, nombre de fonctionnaires anglais en Inde croient de bonne foi que le Gouvernement qu’ils représentent est un des meilleurs qui existent et que l’Inde progresse sà»rement, si elle progresse lentement. Ils ignorent qu’un système subtil, mais efficace, de terrorisme et un déploiement organisé de forces d’une part, et la privation de tout moyen de défense d’autre part ont émasculé le peuple et l’ont conduit à  la dissimulation. Cette habitude épouvantable a contribué à  l’ignorance et à  l’illusion des administrateurs. Le paragraphe 124* du Code pénal d’après lequel j’ai le bonheur d’être accusé est au premier rang de ceux qui tendent à  supprimer la liberté du citoyen. La loi ne peut donner ou régler l’affection. Si l’on n’a pas d’affection pour un homme ou pour un système, on doit être libre d’exprimer sa désaffection dans toute sa force, du moment qu’on n’a pas l’intention de se montrer violent ou d’inciter à  la violence. Mais d’après le paragraphe sur lequel vous vous appuyez pour nous poursuivre, M. Banker et moi, le seul fait d’exprimer de la désaffection est un crime. J’ai étudié certaines causes qui ont été jugées d’après ce même paragraphe, et je sais qu’il a fait condamner quelques-uns des Indiens les plus populaires de l’Inde. Je considère par conséquent comme un privilège d’être accusé de même. J’ai essayé d’exprimer le plus brièvement possible les raisons de ma désaffection. Je n’ai aucun grief personnel contre un seul administrateur, j’ai donc encore moins de désaffection envers la personne du Roi. Mais je considère que c’est une vertu d’avoir de la désaffection pour un Gouvernement qui a fait plus de mal à  l’Inde dans l’ensemble que n’importe quel autre système antérieur. L’Inde n’a jamais été aussi peu virile que depuis qu’elle est gouvernée par l’Angleterre. Avec de tels sentiments [...], je considère comme un privilège précieux d’avoir pu écrire ce que j’ai écrit dans les divers articles qui me sont reprochés.
Je suis d’ailleurs convaincu d’avoir rendu service à  l’Inde et à  l’Angleterre, en leur montrant comment la non-coopération pouvait les faire sortir de l’existence contre nature menée par toutes deux. À mon humble avis, la non-coopération avec le mal est un devoir tout autant que la coopération avec le bien. Seulement, autrefois, la non-coopération consistait délibérément à  user de violence envers celui qui faisait le mal. J’ai voulu montrer à  mes compatriotes que la non-coopération violente ne faisait qu’augmenter le mal et, le mal ne se maintenant que par la violence, qu’il fallait, si nous ne voulions pas encourager le mal, nous abstenir de toute violence. La non-violence demande qu’on se soumette volontairement à  la peine encourue pour ne pas avoir coopéré avec le mal. Je suis donc ici prêt à  me soumettre d’un coeur joyeux au châtiment le plus sévère qui puisse m’être infligé pour ce qui est selon la loi un crime délibéré et qui me paraît à  moi le premier devoir du citoyen. Juge, vous n’avez pas le droit, il vous faut démissionner et cesser ainsi de vous associer au mal si vous considérez que la loi que vous êtes chargé d’administrer est mauvaise et qu’en réalité je suis innocent, ou m’infliger la peine la plus sévère si vous croyez que le système et la loi que vous devez appliquer sont bons pour le peuple et que mon activité par conséquent est pernicieuse pour le bien public.

Déclaration lue par Gandhi lors de son procès à  Ahmedabad le 23 mars 1922.

 

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