Il y a quinze jours isabelle recevait l’appel d’une journaliste de France5 qui préparait une émission sur la gestion du stress et qui était intéressée par ses cours de yoga. Elle voulait faire deux reportages, un premier sur un témoignage d’une personne qui aurait des choses à dire sur le stress et un second sur comment le yoga pouvait apporter une réponse à la gestion de ce stress.
J’ai eu la journaliste quelques jours après pour coordonner le tes tournages et lui proposer plusieurs personnes qui participent au cours pour le témoignage. Je pensais que cela serait bien que ce soit un homme qui témoigne. J’ai proposé trois hommes et une femme en fait. J’hésitais à jouer à ce jeu mais finalement je me suis proposé.
Peut-être par soucis d’efficacité, m’ayant au téléphone, la journaliste a tout de suite préféré travailler avec moi. Ce qui m’a gêné parce que finalement, je ne suis pas très avancé malgré tout dans ce travail personnel î sur moi on dira î et que les autres que j’avais proposé sont plus volontaires dans leur approche du changement. Moi je suis encore entre deux eaux.
Mais jouer à la télévision me plaisait parce que je pourrais être témoin direct de ce que cela fait de devenir un évènement télévisuel. De devenir le sujet d’une attention portée par un média qui par les rouages qu’il implique allait essayer de construire une image de moi qui ne serait peut-être pas moi. En tout cas qui serait un truc différent. Par contre j’étais ennuyé par l’idée de témoigner, de me livrer de façon efficace. J’étais piégé entre l’envie de faire de ce passage l’occasion d’appuyer le passage d’isabelle pour ses cours et l’envie de bien faire (ou de faire bien), de dire des choses utiles (ce qui après coup est un vrai défi à la télévision quand on n’est pas professionnel).
Il y avait aussi de compliqué que la journaliste voulait me replacer dans mon espace professionnel. Je travaille chez moi. Dans ma chambre. Cela n’a rien d’exceptionnel. Elle voulait filmer mon travail î mes oeuvres. Je me suis dit : aà¯e. Filmer mes affaires : c’est les dévaloriser ? C’est en faire des images un peu molles : parce qu’elles ne seront plus que des illustrations inertes de la cause vaine de mon activité entrainant le stress dont je dois témoigner… Filmer mes images, c’est faire d’elles des artéfacts d’une activité abstraite quelconque surtout dans une émission qui ne pourra pas parler de mon travail. Je deviens l’artiste, l’artisan, le plombier, la femme de ménage, qui devra faire écho du général par sa singularité… bref plein d’idées me venaient et me faisaient peur. Mais j’ai décidé jouer le jeu. De ne rien dire de ce qu’étaient ces images si ce n’est que ce sont mes images…
L’interview a eu lieu le jeudi 13 décembre. Ce qui est drôle c’est que c’est devenu une des journées les plus chargées de mon mois, certainement à cause de l’appréhension de cette interview j’ai accepté tout ce qu’on me proposait. je me suis retrouvé à devoir donner des cours, une conférence et deux interviews dans la même journée. C’était évident qu’il serait question de gestion du stress.
Pour le premier petit reportage, la journaliste et son équipe ont mis en scène mon appartement pour adapter à leurs besoins l’image à leur propos : il n’y a pas de chaise ni de table et cela les dérangeait que nous nous mettions directement au sol parce que cela sous entendait déjà une certaine approche ‟ zen du sujet ”. Je me suis retrouvé assis sur un tabouret dans un coin du salon, face à trois personnes :la journaliste le caméraman et la preneuse de son. L’éclairage était léger, une mandarine pour ne pas manquer de lumière. Le dispositif était classique pour les interviews : la journaliste décalée à droite de la caméra face à moi pour que mon regard ne soit pas direct.
La fatigue et ma gestion du stress ne m’ont pas sauvé de la difficulté à être naturel dans ce contexte. Je n’ai pas réussi à ôter la caméra de mon esprit. Je n’étais pas très clair et assez absent de ce
que je disais. La machine se mettait en route et je débitais des choses. Rien de vraiment hors sujet mais difficile de maitriser de contenu ‟ intelligent ”. Je faisais de la surface.
Comme le sujet se focalisait sur mon rapport au stress, mon histoire avec, et mes manière de le gérer, il ne fallait pas que je parle de yoga. C’était l’autre sujet. La journaliste arrivait à la fois à s’intéresser réellement à ce que j’avais à dire tout en cherchant ce qu’il fallait qu’elle ramène. Elle voulait que j’arrive à dire naturellement certaines choses qui pouvaient rejoindre la conscience collective et parler à tout le monde. Il fallait que mon cas, aussi singulier qu’il soit, face entrer en résonance une grande partie des téléspectateurs.
Après il a fallu mettre en scène mon travail. J’ai bougé et j’ai manipulé des images, j’ai déplacé des fenêtres sur mon ordinateur. J’ai mimé mon travail. Est-ce que tous les gens qu’on voit travailler à la télévision miment ce qu’ils font ? C’est un vrai simulacre. Non seulement je ne travaille pas, je fais semblant mais en plus je n’ai pas la place ni le temps d’aller dans les choses. Et en plus il n’est pas question de le faire : c’est de la télévision il faut que cela soit (reste) simple.
Tout le monde le sait que la télévision façonne un monde où les choses ne se passent pas. C’est le lieu du commentaire. C’est à dire que ce que je fais n’a aucune influence sur mon travail. Ce que je dis n’a aucune influence sur moi (positive). Comme cela pourrait-il avoir une influence sur le monde qui regarde ?
[rajout : Et quand la télévision film la guerre, quand elle filme quelque chose du monde... cela se passe ? Nous y croyons. Mais est ce que la réalité qui est captée est ce que nous voyons et dans l'image et ce que nous croyons observer. N'est ce pas deux choses différentes. Est-ce que la guerre telle que je la vois est celle qui se passe ? Peut-être n'est-il pas question de réalité mais de croyance, pas de vréité mais tout simplement de foi.]
Pour le second reportage l’équipe est venue au cours de yoga du jeudi soir qu’isabelle donne rue d’Enghien dans le 10ème arrondissement. Ils ont commencé par l’interviewer. Il s’agissait là dans ce second volet de se pencher sur l’apport du yoga dans la gestion du stress. Ils se sont isolés avec isabelle. Ils l’ont mise en scène comme ils l’ont fait avec moi en scénarisant ses mouvements entre les pièces. Tout cela pour en arriver au cours. Espérant être dégagé de mes responsabilités médiatiques, j’allais m’installer au fond de la salle pour faire mon travail tranquille quand la journaliste m’a appelé… pour me demander de me mettre au premier rang. Je savais qu’ils voulaient poser des questions aux élèves, mais je ne m’étais pas senti concerné pour le coup vu que j’étais déjà passé sur le gril… Elle m’a dit ‟ c’est de la télévision, il faut que cela soit simple ”. Je me suis donc mis devant, j’ai été à nouveau interviewé, c’était encore plus difficile que la fois précédente. Mais bon…
Ils ont pris des images pendant les trois premiers quarts d’heure du cours. J’essayais de faire abstraction d’eux. J’essayais de garder les yeux fermés et de me concentrer sur mes exercices. J’essayais de rentrer à l’intérieur de moi. Ce qui pour la télévision est le contraire d’un événement à priori. Le Kundalini yoga qu’enseigne Isabelle est tout sauf l’image véhiculée par la conscience collective de ce qu’est le Yoga. Et axer un cours sur la gestion du stress (c’est le thème de l’émission) renforce la position du sérieux : l’image mentale préfabriquée est bien incompatible avec toute réalité. Après avoir ouvert le cours par le mantra traditionnel et deux petits échauffements, nous voilà assis en tailleur, à devoir nous pencher vers l’arrière en tirant les bras bien droits au dessus de nos têtes et dans le prolongement de la colonne vertébrale, à devoir respire profondément et sereinement par la bouche….
Au bout d’une trentaine de secondes, on commence à sentir la difficulté de l’exercice, les bras commentes à trembler. Il faut savoir que l’on se renforce activement en lâchant prise pour tenir le temps de l’exercice. Sans le faire contre soi, en échappant à toute colère, le jeu n’en reste pas moins difficile et les visages écrivent cette difficulté qui peut être douloureuse…
J’ai malgré moi ouvert les yeux une seconde. C’était dur de tenir la position, de garder la concentration et de ne pas penser à la journaliste assise à quelques mètres de moi nous regardant. Le cadreur se baladait entre nous. C’est là que j’ai découvert sa stupéfaction (de la journaliste). Nous renvoyons une image de l’effort. Quelque chose de difficile à montrer à télévision. Pas difficile techniquement je veux dire. Théoriquement ! Pour changer il faut vouloir. Il faut être volontaire. Ce n’est pas facile. Pour être beau, il faut souffrir. On n’hésite pas à montrer de la chirurgie plastique mais on a du mal à montrer la pratique d’un yoga qui pousse l’engagement assez loin… et encore là ce n’est rien. Il ne s’agit plus de montrer la réussite ni l’effort conventionnel du sportif ou du commun des mortels. On retombe face au paganisme : ‟ ce n’est pas chrétien tout ça ! ”. La chirurgie plastique, les régimes drastiques, les antidépresseurs sont intimement liés à la médecine. Ils la figurent. C’est acceptable. Je développerais plus cette idée de la dynamique de l’effort et des medias, sur ce qui est possible ou non de représenter… Mais la medecine et la télévision ont dans la culture des fondements communs.
Une semaine après nous avons découvert les deux reportages. Toute particularité a été réduite à sa plus simple expression. La télévision m’a momentanément doublement vidé de moi. Je suis devenu une image montée (j’étais conscient de cela déjà quand j’étais filmé). Cela m’a presque rendu malade. Je ne me souciais pas du passage de l’émission et finalement je n’ai rien digéré de ce que j’ai mangé le jour de la diffusion. Heureusement, mon travail m’a sauvé. La couleur qui m’entourait, toutes les couleurs de mes images ont donné à ce reportage une aura qui m’a encré dans quelque chose que la télévision ne peut pas réduire. Elle est tellement aveugle qu’elle n’a pas pu déceler ce qu’il y avait là . Elle n’a pas eu les moyens de le synthétiser.
Le Montage de l’émission a su tirer le symbolique de mon discours, tout ce qui répondait aux idées qu’on pouvait se faire des choses a été mis en avant. En gros, j’ai pu redire ce que tout le monde savait. Ce témoignage, témoigne de la normalité culturelle des choses.
Suite à mes propos, la présentatrice a fait un amalgame d’enchainement, une ellipse transitionnelle, figure de style chère à la télévision. Elle a réussi à faire un non-sens en collant deux idées étrangères pour assurer le rythme de l’émission. Sur le reportage de yoga qui a été introduit par un autre journaliste qui a écorché le nom ‟ kun-a …kun-da-lini Yoga ” (pour Kundalini yoga) en haussant les épaules et en baissant la tête comme s’il avait besoin de toutes ses forces… il a été à mon avis désamorcé. Est-ce qu’ils étaient obligés de le diffuser? Ils ont été pris de cours ? Est-ce que cela n’allait pas ? Mais suite au reportage, le présentateur vedette à tout de suite par une technique douteuse mis en question la véracité des propos. Il a foudroyé le contenu. Il a manqué de respect. Je me demande alors pourquoi cela a été diffusé… je me rappelle de la tête de la journaliste. Comment comprendre le résultat ? Une analyse brève supporte l’idée du complot pour prendre le maximum de distance avec ce qui était diffusé… Peut-être que cela serait intéressant que je me penche plus sur une analyse de l’émission.
En deux mots : la télévision par tout les processus qu’elle dispose essaie de réduire un maximum la vision du monde que l’on pourrait avoir. Elle ferme à ce qu’elle capte et ce qu’elle transmet. Et ce par simple autocensure. On le sait, elle ne veut pas se mouiller et donc, surtout pas mouiller les autres. C’est un média imperméable.
Quels retours ? Très peu. Quelle audience ? Je ne sais pas. Est-ce que le jeu des journalistes qui prennent de la distance par rapport au reportage et la critique qu’ils engagent desservent notre image pour les téléspectateurs ou simplement est-ce que cela neutralise tout. C’est-à -dire pas du négatif, pas de positif, juste rien…
Nous avons très peu communiqué sur ce passage télé. Je savais que cela tendrait vers ça. L’idée étant de se servir de l’image de la télévision- image mentale, plus que de son image directe : nous allons citer notre passage télé à postériori… ‟ Vu à la télé ”. Voilà ce qu’a pu faire aujourd’hui la télévision : nous inscrire dans une continuité des choses qu’elle a validée (neutralisées) et qui sont à priori sans risque dans l’idée : le magazine de la santé.
Le magazine de la santé : Stress : s’en sortir / Emission du 18 décembre