Force est de le reconnaître, l’art contemporain n’est plus ce qu’il était. L’a-t-il d’ailleurs jamais été ? Non, bien sà»r, puisqu’il est de sa nature de n’être jamais le même. Si mouvements, groupes et tendances se partagent au fil du temps une histoire de l’art dont il n’est pas toujours aisé de suivre les différents actes, c’est bien parce que, oui décidément, définitivement, » L’art est ouvert « . Rien n’est plus terrible que les périodes de l’histoire où il se recroqueville, se replie, se referme, au service d’une pensée unique.
Dans un monde où tout se télescope, qui se plaît à jouer des extrêmes et dont les repères sont sans cesse chamboulés, rien de surprenant que dominent les concepts d’éclectisme et d’hybride. Ce sont du moins ceux-là mêmes qui caractérisent aujourd’hui la production artistique contemporaine. A l’écho des oeuvres des huit artistes que présente ce nouveau parcours de » L’art est ouvert « , la création artistique contemporaine n’en appelle plus seulement, comme par le passé, à la simple délectation ou à la contemplation béate de mondes imaginés, tantôt fabuleux, tantôt mystérieux. Peintures, sculptures, installations, site internet cultivent aujourd’hui le ludique, l’interactif, l’incongru, le dérisoire, le poétique, le mortifère, etc. L’art contemporain se veut à l’unisson de la vie. Il aspire même à la changer, et les artistes – qui ne sont jamais en manque d’inventions plastiques – oeuvrent dans un seul but, celui de nous interpeller, de ne pas nous laisser tranquilles, voire indemnes. Parce que » L’art est ouvert « , il est l’un des vecteurs les plus actifs à la liberté d’expression. Sa fréquentation – c’est-à -dire sa culture – est une condition nécessaire à la liberté même de l’homme.
Que l’image et l’objet se retrouvent être ici des modes opératoires dominants ne surprendra pas. Ce sont les emblèmes mêmes de la société, les parangons d’une dialectique de la communication et de la consommation qui fondent aujourd’hui notre rapport au monde. A la différence d’époques antérieures, l’usage qu’en font les artistes ne répond à aucune espèce de mouvement partagé, chacun agissant hors de toute intention d’école mais au sein d’une aventure individuelle qui acte une irrémédiable propension à s’inscrire dans le réel. Tantôt en le jouant, tantôt en le déjouant ; tantôt en l’empruntant, tantôt en le subvertissant. Dans tous les cas, en le mettant en question au coeur même de sa propre réflexion.
Versant peinture, d’un côté, Jérôme François défigure sur le mode de l’anamorphose les héros extraits de photogrammes du film de Robert Altman, » Prêt à porter « , pour les reverser à l’ordre d’images de » vanité » qui font chavirer le monde de l’apparence auquel elles appartiennent ; de l’autre, Didier Dessus, curieux de mettre à plat les procédés artistiques eux-mêmes, décline toute une iconographie de figurines référencées qui occupent la cimaise sur le mode de l’invasion dans la rigueur de modalités que régissent formes et couleurs.
Alors qu’au collage et à la couture, façon » ouvrage de dames » à l’ancienne, les travaux de Françoise Petrovitch nourrissent la peinture d’une charge mémorable et piquante qui instruit une chronique féminine toute en délicatesse, la démarche de Marie-Christine Gayffier bouscule les conventions spatiales en orchestrant toutes sortes de distributions, d’espacements, de déploiements et de propagations qui tuent toute idée de profondeur pour faire surface.
Côté objet et sculpture/installation, Pierre Petit n’a pas son pareil pour constituer d’imprévisibles assemblages dont la verve et l’impertinence défient tous les usages pour faire exploser le sens et en produire un tout neuf, hors des sentiers battus. Plain-pied dans le réel, l’installation de Luna en appelle pour sa part à une prise de conscience sur le thème tragique du génocide dans une manière d’autopsie du corps social et de mise à mort de l’image, métaphore d’une destinée contre laquelle se dressent ses paroles de femmes. Jacques Perconte, quant à lui, exploite la richesse communicationnelle et ambiguà« des technologies nouvelles ; tout en mêlant l’idée de jeu à celle d’un film interactif, il prend le spectateur à témoin l’invitant ainsi à s’inscrire dans le réel de l’oeuvre. Laurent Besse dit enfin se poser une question essentielle. Laquelle donc ? Il ne sait ni la formuler, ni y répondre, tant elle lui fait peur. Sans doute l’une de ces puissantes interrogations existentielles qu’aucune image ne réussira finalement jamais à illustrer.
Philippe Piguet, l’art est ouvert, introduction du catalogue de l’exposition