À lire sur Toutelaculture.com : Jacques Perconte : Art numérique à la galerie Charlot
Par Smaranda Olcèse, 5 mars 2012
La galerie Charlot accueille plusieurs œuvres numériques de Jacques Perconte. Vidéo projections et installations sur iPAD s’apparentent au même geste fort de l’artiste qui va à rebours des dictats de la matière numérique dans une démarche profondément plastique, picturale.
En octobre 2011, à l’initiative de Nicole Brenez, historienne du cinéma et chargée de la conservation du cinéma d’avant-garde, la Cinémathèque française organisait plusieurs séances autour des oeuvres remarquables de Jacques Perconte. Cet artiste singulier est passé par les cours du soir des Beaux Arts, par l’université, le CNRS, les Arts plastiques, le cinéma, la philosophie, le design interactifs, les systèmes d’information, les stratégies d’innovation … Il mène ses recherches depuis 1995 et son travail sur la vidéo et les différents codecs (compression et décompression) s’affine au fil du temps.
Dans l’obscurité de la salle de cinéma ou dans l’espace tamisé de la galerie, l’emprise des images de Jacques Perconte est saisissante. Il y va d’une densité des formes qui s’auto-génèrent jusqu’à leur disparition. Pulsations et ressacs, pures intensités chromatiques créent une texture épaisse, alors que d’énormes pixels font que les couleurs se diluent, circulent, se rependent d’un plan à l’autre. L’extrême fidélité et la précision mimétique de l’image numérique sont détournées dans un acte radical qui s’attaque à la racine binaire de l’information numérique pour mieux accéder à l’essence vibratoire du réel.
Presque toujours dans les films de Jacques Perconte le geste inaugural est un travelling. Qu’il soit embarqué sur l’eau (Uishet) ou dans un train (Après le feu), qu’il soit dédoublé et renversé dans sa chronologie (Fontainbleau), ce mouvement de cinéma témoigne d’un désir multiple : non pas simplement embrasser le paysage dans une posture fixe, statique, mais s’y immerger, y plonger avec l’espoir de percer le réel, d’aller au delà du voile de l’image, l’abimer à la source pour mieux s’y abimer. Soumise à des traitements numériques, l’image atteint une stase, brille de mille feux avant de sombrer. Le paysage, devenu abstrait, porte encore les traces du monde, trop plein et vidé à la fois, sorti de ses rails : extatique.
Après le feu (2010, 7’, vidéo) est un travail exemplaire de cette démarche. L’image prend la texture des braises, des flammes et des vagues incandescentes. Elle fond, se liquéfie, se délite, attaquée par des couleurs fortes et saturées. Seul le chemin de fer garde son obstination qui nous mène toujours plus loin dans les profondeurs de l’image – paysage. La couleur s’épuise, des aplats, des murs de « non-couleur » obscurcissent le travelling. L’abstraction appelle des formes nées d’elles-mêmes.
Fontainbleau (2012, 24’, vidéo) démultiplie le processus, le plonge dans le miroir, le ralentit également. Le traitement est moins radical, l’artiste joue sur la durée et préserve dans sa composition certains repères du monde réel qui font signe vers la gémellité des deux images installées sur des iPADs. Un indicible trouble nous gagne avant d’acquérir la certitude qu’il s’agit d’un même morceau de paysage. La mise en abime est vertigineuse. Nous avons tout d’un coup accès à un aperçu de ce que peut être, pour Jacques Perconte, la fabrique des images. Son rapport au réel, la captation, l’enregistrement passif est augmenté par des procédées artisanaux qui tiennent de l’alchimie numérique. Une précision est ici capitale : l’artiste se garde d’introduire dans ses œuvres toute information allogène, toute donnée qui n’aurait pas existé dans le fichier source. Ses algorithmes exacerbent les qualités intrinsèques de l’image, mais sa pratique, hautement plastique, reste très attachée au cinéma, car mouvement et montage sont des éléments essentiels de son travail. La frontière devient poreuse, fragile et incertaine entre les plans. Malgré la coupe, ou peut-être grâce à elle, des images clés, avec les couleurs, franchissent les plans. Les mots pénètrent les images amplifiant une incontestable sensation de la matière.
Ainsi, dans Impressions (2011, 42’, vidéo) – film dont une version préparatoire a été montrée par Nicole Brenez à la Cinémathèque et qui n’est pas intégré à l’exposition – il peut arriver, comme dans les toiles des maîtres japonais, qu’un oiseau fasse trembler le paysage saturé. Jacques Perconte nous dévoile les flux d’énergies qui se cachent derrière les images les plus prosaïques une fois poussées dans leurs retranchements. Cet opus à forte charge picturale revisite l’émerveillement des Impressionnistes devant la lumière des paysages normands de bords de mer et son éclat gagne évidemment à être magnifié par la projection sur grand écran.
Avec audace, obstination et patience Jacques Perconte approfondit son art qui adresse cette autre perception dont parle Gilles Deleuze dans ses cours en citant Paul Cézanne ou Stan Brakhage, approche ce monde d’avant l’homme, tente des réponses à une même question : combien de couleurs on peut trouver dans un champs d’herbe ?