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Posté le 29 avril 2004 dans presse / textes -> lien permanent
Marie Canet :
La Dimension Expérimentale Dans Le Cinéma De Jacques Perconte

S’il y a une dimension « expérimentale » au cinéma de Jacques Perconte c’est parce qu’il s’inscrit dans la lignée, une tradition même, du cinéma « expérimental »‘. A la base de toute pratique « expérimentale », lorsqu’elle est visuelle, il y a cette volonté de bouleverser, de trouer l’image, de la rendre, selon les intentions, manifeste de quelque chose – pour soi d’abord et ensuite pour le spectateur

Jacques Perconte rend compte d’une manière de faire, d’une manière de voir, et, malgré le caractère totalitaire de ses images, sa démarche se veut comme une pénétration dans la réalité, par l’image qu’il en capte. Partant du réel filmé, il fouille et transforme par diverses manipulations ostentatoires cette réalité, jusqu’à  accéder à  la dimension invisible de l’image, à  sa totale abstraction.

L’invisible est provisoire, ce n’est que du visible qui se cache. Quand le cinéaste oppose entre lui et son objet l’appareil de prise de vue commence la représentation. A partir du moment où il intervient sur la chose filmée il amène un signe. Mais, par des procédés cinématographiques et extra-cinématographiques comme le grattage, la peinture, l’accéléré, ici le traitement numérique et la pixellisation des images, la peinture et la superposition de couches … le cinéaste « expérimental » ajoute à  cette re-présentation un signe formel fort, parfois excessif, qui transforme la chose re-présentée une présentation personnelle de cette chose. Dés lors, le spectateur face à  un film « expérimental » sait très bien à  quoi il a affaire : une présentation surreprésentée de la réalité, une telle manipulation – exhibée – qu’elle devient proposition.

‘Nous employons le terme cinéma à  propos du travail de Jacques Perconte en connaissance de cause, même si son médium est bien la vidéo et non la pellicule. Mais d’une part la pellicule n’a pas l’exclusivité de l’écriture en mouvement, et d’autre part s’il existe un genre « expérimental » dans l’art du mouvement, la démarche de jacques perconte en est tout à  fait manifeste – ce que cet essai va s’employer à  démontrer.

Il n’y a pas de signe gratuit. Même la gratuité du signe sur la chose représentée devient idée. Ceci dans la perception. en passant par le spectateur. C’est la particularité du cinéma « expérimental ».

Le cinéma « expérimental » travaille dans l’abstraction. L’abstraction dans le cinéma « expérimental » fait appel dans la perception à  une reconnaissance : reconnaissance de l’objet filmé, du signe apporté, du signifiant. Le signifié naît et même dans la plus grande transformation, dans l’abstraction de la référence d’origine.

Nous avançons l’hypothèse que la perception dans le cinéma « expérimental » s’opère par triangulation entre d’une part le film, le spectateur et le potentiel référent propre à  chacun. En d’autres termes, il s’agit de notre capacité à  méditer toute donnée. Le cinéma « expérimental » nous offre la possibilité de J’exercice de la reconnaissance.

Le cinéma « expérimental » est initiatique, il propose au spectateur des choses qu’il connaît déjà . Le spectateur consent et accepte cette présentation non sans violence parfois. Face à  une image sur-manipulée, au maquillage de la chose représentée, quand l’abstraction dans le flux de l’image atomise toute référence, l’oeil reconnaît là  une présentation particulière dont il est spectateur et qu’il peut s’approprier, re-connaître dans et par ses propres données ou références. C’est pour cela que le cinéma « expérimental « est un cinéma de la liberté car il travaille sur la réception par signes abstraits. Même la réalité captée, brute, sans maquillage, n’est plus un problème puisqu’il la travaille toujours dans le sens de l’étrange, étrangement au point de la rendre extérieure à  elle-même, méconnaissable au spectateur, inconnue donc vierge de données préétablies et dictatoriales, appropriable par la connaissance et la reconnaissance. Le cinéma « expérimental » est « causa mental ».

Le spectateur face à  un film « expérimental » n’est tenu par rien sinon par sa propre volonté de connaître ou reconnaître les choses – ce terrible besoin de mimésis. La perception se fait toujours dans une conscience du présent, le temps de la perception, la perception vécue image par image, tout comme l’oreille perçoit la musique note à  note : le temps de la fulgurance de la note, le temps de la reconnaissance de cette note avant de passer à  une autre note.

La perception du cinéma « expérimental » se dit et se fait au présent. Les dimensions d’espace et de temps du cinéma traditionnel sont pulvérisées pour devenir autre. Autre, c’est-à -dire non plus concepts fondateurs mais signes formels. Il n’y a plus de temps mais des à -présents dans le film : le temps de la projection, sans souvenir ni logique évolutive ou scénaristique. Le temps dans le cinéma « expérimental » n’est que le temps de la projection, l’espace que l’espace de diffusion. Le lieu du film est donc l’espace du spectateur. Entre le temps, l’espace et le spectateur la triangulation se double dans l’action perceptive. Le cinéma « expérimental » produit une conscience de la perception en même temps que l’acte perceptif se produit, il est, paradoxalement peut-être loin de la déréalisation que provoque le cinéma traditionnel. Le cinéma « expérimental » c’est la prise en charge du film dans la perception et la réception par le spectateur.

La transformation tout à  fait personnelle de la réalité filmée commence dans l’oeil du cinéaste et par l’expérimentation du support. Jacques Perconte nous propose ici sa réalité des choses, il nous fait accéder sur le mode propositionnel à  une dimension que nous ne connaissions pas mais que nous soupçonnions. L’oeil du cinéaste est médium, le spectateur du film est récepteur mais aussi média dans le cinéma « expérimental ».

Qu’est-ce que le cinéma « expérimental »?

Dominique Noguez nous dit : « (…) il n’a pas besoin de définition c’est le cinéma même. « Pourtant le cinéma « expérimental » n’est pas qu’une écriture du mouvement – et, de la lumière – même s’il fait bien oeuvre en envisageant en premier lieu les constituants filmiques, la matière, le support pellicule. Le cinéma « expérimental » s’élabore dialectiquement et en miroir entre la forme et le contenu du film.

On a qualifié ce cinéma de parallèle, de marginal, de traverse ou de friche, de personnel, de non commercial, de maudit ou d’avant-garde… pour mettre en avant sa marginalité par rapport au cinéma de divertissement.

Le cinéma « expérimental » n’existe pas. Il y a des cinémas « expérimentaux », à  l’intérieur desquels il y a des films, que l’on peut effectivement regrouper dans une case commune, en marge de celle accordée à  ce cinéma décrié parfois comme « commercial », (sous entendant « grand public »), comme si la seule différence entre les deux était une question financière, alors que la véritable différence est dans la fin. Mais nous allons le voir, parler de cinéma « expérimental » n’est pas qu’une erreur de langage comme l’avait déjà  concédé Dominique Noguez.

Nous aimerions poser comme caractères du cinéma « expérimentai » deux principes : d’une part celui de technique et d’autre part celui de perception. Ces deux principes sont employés de manière particulière dans le cinéma « expérimental » à  l’intérieur de l’ensemble du cinéma. Ces deux principes nous apparaissent comme les ascendants du cinéma de Jacques Perconte et permettent de réactualiser une définition de ce cinéma. Le cinéma « expérimental » est un prolongement du cinéma, il est né de la rencontre du cinéma avec les arts plastiques.

Ce terme de cinéma « expérimental » suggère le principe d’expérimentation, expérimentation d’une technique, d’un contenu, du contenu d’une technique. Dans le cas du cinéma il s’agit de la pellicule, de ses constituants – mouvement, lumière, montage…- de la mécanique d’enregistrement de l’image et des moyens de monstration qu’elle engage – et nous sommes pour ouvrir la définition du cinéma « expérimental » à  l’ensemble des pratiques visant à  explorer de manière formelle tout système de capture mécanique d’images à  partir du réel ou non, que ce soit en cinéma ou vidéo analogique ou numérique – et autres supports.

« I’expérimental » doit son origine à  l’expérimentation, l’expérimentation du réel par l’appareil et l’oeil du cinéaste. Il est important de savoir que Dziga Vertov est considéré depuis plus de 40 ans comme le père du cinéma « expérimental ». C’est intéressant car il y a là  une clef non négligeable à  saisir pour envisager la production de ces oeuvres et surtout pour distinguer dans l’utilisation de la technique « expérimentation » d »‘expérimental ». Pourquoi Vertov serait le père du cinéma « expérimental » et non le cinéma français des années 20 parti à  la recherche du rythme « pur » ou aussi le cinéma allemand abstrait de cette même période?

L’homme à  la caméra réalisé par Dziga Vertov en 1928 est le film de référence et reconnu depuis les années soixante par l’Underground américain et son successeur le cinéma Structurel’ La spécificité du film, au delà  de nous montrer une journée en URSS de l’aube à  la nuit, est un discours sur les moyens d’élaboration d’un film, un discours sur la fabrication du cinéma.

‘Ces mouvements sont emblématiques eux-mêmes de ce que pourrait être le cinéma « expérimental » définit dans ses deux versant, matériel et personnel

La reconnaissance de Vertov comme père du cinéma « expérimental » ne tient qu’à  une chose, contenue, pour nous, dans la distinction qu’il fit entre « trucages » et « procédés ».

Le trucage à  la différence du procédé est un artifice quelconque qui n’implique pas le « comment ». Simplement formel le trucage risque d’être enchanteur et gratuit. Vertov l’utilise comme procédé signifiant, comme artifice qui ajoute et dit quelque chose en plus sur la réalité montrée. Non seulement le film met en scène le soi disant opérateur du film, l’homme à  la caméra en action, personnage héroà¯que bravant le danger pour des prise de vues inédites et extraordinaire, mais il nous montre aussi le résultat, le travail fourni sur ce résultat pour sur-signifier cette réalité captée et mettre en avant aussi la spécificité de la machine par rapport à  l’oeil humain.

Les moyens mis en oeuvre transparaissent dans l’image par l’emploi de ces procédés bruts. Loin de les dissimuler, Vertov les exhibe : surimpressions, accélérés, caches, multiplications d’image, jeux d’échelle par les surimpressions, fondus enchaînés, marches arrières.

A la sortie du film Eisenstein l’avait qualifié de « coq-à -l’âne formaliste » et de « pitreries gratuites dans l’emploi de la caméra ». Cela pourrait être vrai si Vertov n’avait pour intention de produire un autre cinéma et d’amplifier par la machine la vision humaine. Dans ce sens, mais dans une certaine mesure, le cinéma « expérimental » est le descendant de ce film vertovien si l’on prend en compte l’aspect personnel du regard porté sur les choses jusqu’à  la transformation de ces choses par l’emploi de procédés fornnels signifiants et aussi par la monstration de la fabrication de ces procédés : la réalisation pour le spectateur dans la perception du processus de réalisation du film. Le spectateur de cinéma « expérimental » a conscience et comprend le processus filmique qui s’opère devant lui en temps.

La caméra est pour lui un organe indépendant du corps, un outil surpuissant apte à  capter l’infiniment grand comme l’infiniment petit, capable de voir tout ce que l’oeil ne peut pas appréhender, rendre visible l’invisible et mettre à  nu ce qui est masqué. Le cinéma doit renoncer à  la mise en scène et au squelette littéraire, aux acteurs, au studio, pour ne plus montrer que la vie enregistrée par le « ciné-oeil » allié de la « radio-oreille ». Le montage distingue et assemble des entités. En cherchant à  représenter la vie avec plus de vérisme Vertov s’oppose à  la romance et au théâtre. Pour se différencier des autres cinéastes il se proclame « kinoks » et fonde le groupe . voué au « ciné-oeil », Kinok avec son frère, Mickaà«l Kaufman et sa femme.

Dans l’idéal le « ciné-oeil » ( kino-glaz) permettrait d’étudier directement les phénomènes vivants qui nous entourent. Le kino-gdai, super organe, médiatise le réel, se frotte à  lui pour extraire des éléments invisibles à  l’oeil nu. Pour Vertov, aucune chose n’existe hors du regard que nous lui portons.

Vertov réalise ses films d’actualités non plus en fonction d’une chronologie mais en fonction d’une idée. Il cherche une vérité et un langage cinématographique expressif. Il interprète de manière artistique et journalistique la nouvelle réalité soviétique. Le documentaire est alors un domaine autonome dans lequel Vertov appréhende les vertus du montage en démontrant combien il est possible d’enrichir le contenu manifeste d’une image par la juxtaposition d’un autre plan. Le rapprochement pour faire surgir l’idée ou la vérité est pourtant un moyen falsifiable, Koulechov la démontré, et Vertov le sait. Il apprend à  manier, à  manipuler cette réalité et la soi-disant vérité de l’image cinématographique dans le montage plus, même, que dans les procédés. Vertov ne s’en cache pas, et dans L’homme ù la caméra il le montre en faisant ainsi une jolie place au travail de la monteuse, au montage dans l’élaboration du film que nous sommes en train de regarder, de se construire.

Cette séquence de la monteuse en train de monter le film est elle-même montée. Ce film que nous regardons est donné comme un film en court d’élaboration, les coulisses techniques du cinéma sont mises en avant par la mise en scène des prises de vue et du montage.

Dans L’homme ù la caméra la ville est représentée comme une masse vivante et chaotique où la caméra se faufile telle une conscience, un sixième sens en quête d’impressions contrastées ou similaires. Il y a d’abord des analogies d’images, de nombreux thèmes sont associés dans le montage, ils fonctionnent aussi bien plastiquement que thématiquement : un mineur travaillant sous terre et une cheminée d’usine; une main qui caresse des cheveux et une main qui caresse un chat; une femme qui se lave le visage et l’arrosage d’un trottoir le matin. Vertov ne montre pas un sportif mais l’idée du sport par accumulation d’images : un coureur, un cycliste, un discobole… le film est parcouru par une même analogie plastique redondante à  savoir 1e mouvement circulaire des roues des trains ou des automobiles, des panneaux publicitaires ou des personnes dans la rue qui le reproduise en regardant la caméra pour imiter avec humour l’opérateur.

Dziga Vertov est le représentant de ce que Deleuze a appelé dans sa classification des signes et des images « une image perception ». Deleuze parle d’un « état gazeux » de la perception dans le cinéma « expérimental », « d’agencement machinique des images-matière ».

L’homme à  là  caméra est une ode à  la technologie, à  l’expérimentation, au cinéma tout court. l’opérateur est montré en train de placer sa caméra à  l’avant d’une moto, d’une locomotive, il tourne dans le tourbillon du trafic, des ateliers, des usines, des maisons riches ou pauvres. L’opérateur est l’homme qui tient la caméra, et, dans sa fulgurance, sa folie de l’enregistrement il se tient comme un acrobate pour tenter de nouveaux plans, toujours plus audacieux.

Deux voitures roulent l’une à  côté de l’autre, l’opérateur est dans l’une d’elle, une femme dans la deuxième. On le voit filmer cette femme, puis l’image filmée de cette femme, puis l’opérateur tel que peut le voir cette femme. Enfin, dans la salle de montage on découvre le négatif de ces prises, son développement et le montage. II y a une réelle conscience filmique.

Dans le plan d’un cheval au galop, Vertov gèle l’image, c’est la conscience du film, du spectacle en action. Le spectateur est renvoyé à  une réalité manipulée, celle du cinéma, de ses vingt-quatre image seconde, de ses vingt-quatre images fixes qui assemblées donnent l’illusion du mouvement et de la vie. La magie est révélée, le spectateur désensorcelé est mit à  distance.

Est-il justifié de considérer Vertov par l’intermédiaire de L’homme à  lu caméra comme le père du cinéma « expérimental » tel que nous le connaissons aujourd’hui? C’est difficile à  dire, difficile d’être catégorique, mais nous avons quand même envie de répondre par la négative. Dans l’idéal L’homme à  la caméra serait un parent proche du cinéma « expérimental » dans le sens où son formalisme est signifiant. La forme devient idée du film, le film avance une idée par la forme et dans la forme. Mais le film est avant tout un documentaire. Souvent pourtant il faut admettre que le cinéma « expérimental » est seulement un cinéma fonnel. Le film de Vertov est « expérimental » dans le sens où il met en oeuvre une définition de l’expérimentation formellement et thématiquement Cette définition de l’expérimentation 12asse par le rôle de l’expérimentateur, incarné par l’opérateur – cet homme avec une caméra. L’homme à  la caméra est un expérimentateur mit en scène, l’emploi de deux caméras nous le confirme. Quelle est son attitude? D’abord, il est en action, en chemin, à  la poursuite de son film, de son idée. Ensuite, par son outil il retranscrit une réalité choisie. Le cinéma sert l’idée, l’idée est de servir le cinéma. Le réalisateur du film met alors en scène l’opérateur du film tout en intégrant au montage ce que son héros-opérateur a capturé : l’opérateur filmant et ce que l’opérateur a filmé. Cet opérateur au service de la machine pour l’idée prend des risques pour capturer des images inédites et spectaculaires de la réalité. Cet homme à  la caméra s’intéresse à  toute choses, aux grandes comme aux petites, à  la partie visible du monde comme à  ses recoins les plus intimes et obscurs, à  la production du film comme à  sa post-production, le cinéma fait parti de ce monde. Enfin, dans une optique matérialiste il montre les spécificités du cinéma, de la pellicule, de la fabrication du film, du discours, de tout discours. Filmer la ville est en accord avec cette pensée, la ville est comme un prétexte à  la construction d’un film sur le cinéma. L’opérateur s’arrête sur tous les détails et fragments de cette ville, poétisés dans le film. Notre opérateur est un expérimentateur qui cherche, essaie, poétise le monde qui l’entoure. Fait-il un film « expérimental »? Non, il fait un documentaire. Si Vertov fait du cinéma expérimental Chris Marker fait également du cinéma « expérimental », maà¯s Peter Teherkassky aussi.

Le cinéma « expérimental » pourrait se synthétiser dans la formule (qui a ses limites) : est expérimental tous film qui pose des moyens formels comme soutenant (et non pas écrasant) le filmé. Car « l’expérimental » est un genre du cinéma mettant en avant les moyens formels du cinéma au détriment de la logique, de la lisibilité de l’oeuvre et de l’habituelle narration. Il pousse les limites matérielles de la pellicule, de la machine cinéma, il l’explore, la comprend pour mieux la conquérir. Le cinéaste « expérimental » est bien un aventurier explorant les moyens du cinéma comme cet homme avec sa caméra grimpé en haut d’une cheminée.

Le cinéma de Jacques Perconte ne correspond que partiellement à  notre définition incomplète du cinéma « expérimental ». Il manque à  cette définition toute la dimension subjective sur laquelle Noguez avait basé sa propre définition du cinéma « expérimental »‘. Ce qu’il manque c’est une approche poétique du cinéma « expérimental ». Cette dimension, personnelle, subjective, intime aussi, rendue dans le travail de Jacques Perconte par une aptitude ou une inaptitude du regard – nous ne savons pas – transforme et poétise le réel abolissant toute fonction référentielle et laissant place à  la peinture, à  la contemplation d’un tableau mouvant. La perception est remplacée par le sensation. Un aventureux voyage se présente, plaisant, décoratif, au-delà  du connu. L’exploration de la matiére filmée et sa transformation aléatoire transforme les choses en paysage inconnu.

‘Dominique Noguez retient deux critères pour distinguer le cinéma « expérimental » à  l’intérieur du cinéma : des critères sociaux économiques ( desquels nous ne parlerons pas) et des critères esthétiques ( que nous aborderons indirectement dans le questionnement sur le fond et la forme dans le cinéma « expérimental »). Esthétique d’abord, car la forme dans 1e cinéma « expérimental » joue un rôle essentiel. Pour Noguez la forme est le contenu du film, ce cinéma n’aurait d’autre objet que lui-même. Pourtant le cinéma « expérimental » ne peut plus être rangé dans une pureté et une adéquation au médium, la tautologie et le matérialisme de l’oeuvre ne sont plus des bases formelles suffisantes pour penser la pratique de ce cinéma. La forme dans le cinéma « expérimental », son extérieur, est une invitation heureuse à  contempler aussi autre chose que la forme elle-même. Si cela ne se réalise pas, la « tâche du poète » et le présupposé du film est manqué, car la forme à  elle seule ne suffit plus pour justifier, nous semble-t-il, une pratique. Dans le cinéma « expérimental » la forme est le sujet du film, le fond du film c’est la mise en oeuvre de la forme du film.

L’exploration ne veut pas obligatoirement dire innovation. Nous considérons désormais qu’il y a une tradition du cinéma « expérimental ». Mais, si les formes qu’il emploie et les procédés qu’il utilise sont toujours évidement à  réexploiter, il y a tradition dans le cinéma « expérimental » car il y a une histoire de ce cinéma, tout comme il y a une tradition et une histoire de la peinture abstraite. Le montage, le grattage de pellicule, la surimpression, la peinture sont des techniques traditionnelles du cinéma « expérimental ». Envisager une théorisation de ce genre du cinéma qui pourtant est tout à  fait complexe et difficile à  saisir prouve qu’il y a des constantes dans ce genre qui pourtant peut bien se défendre éthiquement d’en être un. Le théoriser c’est déjà  (honte à  nous) le mortifier et risquer de l’enfermer malgré tout dans un genre et un sens justement où il ne doit pas aller. Le cinéma « expérimental » a vocation libre et éclectique.

L’expérimentation vient avant l’expérimental et fait parti de lui. Mais les techniques de l’expérimental issues de l’expérimentation ne sont parfois plus expérimentations, désavouées par le genre même, genre issu de l’apprentissage d’une technique et d’un savoir faire expérimental. Pour que le cinéma « expérimental » échappe au genre, il faut qu’il échappe à  la technique. L’expérimentation ne peut se transmettre, sinon elle devient technique, savoir-faire,

Le leurre de Dominique Noguez vient de ce qu’il comprend le cinéma « expérimental » comme un cinéma subjectif. Subjectif, il l’est, mais cela ne veut pas dire grand chose, si ce n’est que le cinéaste « expérimental » mettrait en place une vision personnelle, « romantique » des choses. Pourtant, le subjectivisme n’est pas le formalisme. Le subjectivisme est une question de contenu. C’est pour Noguez l’intimisme, le gratuit, le personnel, le subversif. Subversif car le plaisir individuel peut se montrer révolutionnaire quand il n’est pas en accord avec les valeurs de la société. La totale liberté dans le cinéma « expérimental » devient libération et foutrerie de toute nonne et genre, de toute communicabilité aussi.

L’expérimentation commence par les innovations d’inventeurs, la fabrication et la découverte de techniques. « L’expérimental » la rejoint quand des hommes explorent et poussent cette technique dans ses limites mais par l’expérimentation. L’expérimentation est la complice incontournable d’une nouvelle technologie au service de la connaissance. I1 arrive qu’elle fasse oeuvre comme c’est le cas pour les premiers films des frères Lumières, comme c’est moins le cas pour les films de recherche et tests de Jules-Etienne Marey, comme c’est le cas mais de manière « expérimental » par l’expérimentation pour les films de Méliès. Les films de Méliès en les réduisant à  leur caractère de découverte ont la qualité, d’un point de vue « expérimental », de formuler et de proposer, tout en ouvrant au cinéma une voie jusqu’à  lors inconnue.

La situation du cinéma dans son avènement est édifiante, car la technique dans sa phase de découverte (qui deviendra une industrie) fait flirter deux conceptions différentes et à  priori antagonistes, que sont les caractères scientifiques et technologiques du support envisagés dans l’expérimentation et le caractère artisanal et pourquoi pas artistique d’une nouvelle technologie devenue média. Ainsi c’est sans complexe que le cinéma « expérimental » passe de l’un à  l’autre. Car le cinéaste « expérimental » en expérimentateur s’est emparé d’un média dans le sens où il le saisit, se l’approprie, le conquiert. Le cinéaste « expérimental » n’utilise pas le cinéma, il l’explore et fait avec. L’expérimentation a une fin : la connaissance de quelque nature qu’elle soit. L’expérimental devenu genre, art, n’a pas de fin si ce n’est celle que lui assigne le cinéaste. Dans les premières années de l’invention et du perfectionnement d’une technique expérimentation et expérimental sont intimement lié nous le voyons au point de se confondre. Puis vient le moment où l’expérimentation s’atténue laissant la place à  « l’expérimental » comme genre (malheureusement peut-être). L’expérimentation reste un moyen au service de l’accomplissement technique de cette technique, cela, jusqu’à  ce qu’une nouvelle invention vienne la suppléer. C’est pourquoi l’intrusion de la vidéo et des technologies numériques dans le champ du cinéma « expérimental » – et dans le cinéma plus largement – est à  entendre comme un renouveau en même temps qu’une perversion, une subversion positive dans le champ formel des images mouvantes – tant que la tâche du cinéaste alliée à  celle de l’expérimentateur s’exécute dans le champ du regard, de la vision, de ses conséquences réceptives et réactives.

 

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