Il avait laissé ses lèvres se poser délicatement sur ce front recouvert de sueur. Sa bouche l’embrassait avec dilection en laissant sa main s’emmêler et se noyer lentement dans le flot de ces longs et doux cheveux châtains d’où émanait une odeur à la fois irrésistible et oppressante. Ses deux mains se laissaient glisser le long de ce cou tendu, idole sacrée aux yeux du prétendant. Il avait, d’un geste précis relevé cette tête reposant dans sa paume et décollé son visage de celui qui dormait entre ses bras. Elle était si belle. Ses yeux brillaient dans la pénombre. Mais la lueur qui devait animer un tel regard était difficilement identifiable ; était-ce simplement la passion qui essayait de crier ou bien une rage qui ne demandait qu’à s’échapper de ce globe vitreux qu’est l’oeil, étroite et pénétrante fenêtre de l’âme ? Rien ne laissait dire si la douceur allait faire place à la douleur dans ce jeu à la fois spirituel et charnel, que l’on appelle “amourâ€.
Dans un geste aussi lent que violent, il s’était griffé le visage de la paupière à la lèvre et avait posé son doigt sur la voix de sa tendre victime, alitée, angélique ; il l’avait laissé se promener autour de sa bouche puis le long de son cou. Il semblait laisser une trace profonde dans la chair de son esclave, mais ce n’était que le sang qui sous le passage de la phalange s’éloignait puis revenait.
Les deux visages s’étaient de nouveau posés l’un contre l’autre. Son nez était venu chatouiller ces joues qui semblaient promettre quelque chose à quoi Egon ne pouvait pas résister, cette pureté inépuisable de la chair, tentation qui par tous les temps a poussé les moeurs à évoluer, les hommes à se trahir et à se détruire.
La main droite d’Egon glissait de ce corps pour se tapir un court instant dans la pénombre, puis pour grimper discrètement sur la table du chevet. Une fois sur ses hauteurs, elle saisit un objet dans son tiroir faiblement éclairé par une petite lampe qui clignotait. La lumière projetée par éclairs écrasait sur les murs blancs à peine perceptibles dans l’obscurité des ombres qui semblaient être les cris déchirants et silencieux des corps qui s’enlacaient. Un éclair avait précisé la nature de cet objet, c’était un Criss.
La lame de ce couteau remontait sur le lit et était venue faire trembler le corps de Chloé. Sa peau avait changé d’aspect et était devenue dure et pale. Le fer glissait le long de sa délicate peau, elle refroidissait le cou de Chloé qui dans cette position de soumission et d’infériorité se tendait et se détendait tout entière. Il faisait ramper la lame sur la peau suave de son jouet. La distance qu’il y avait entre la base du cou et le tissu qui recouvrait encore le corps semblait infini. Elle ne bougeait plus du tout, son souffle s’était comme arrêté, ses mains qui avaient quelques instants avant enlacé son amant s’étaient désormais recueillies au-dessus de sa tête et se cachaient maintenant sous l’oreiller. En se mettant de la sorte, sa poitrine tendait sa chemise. Les yeux d’Egon ne s’en étaient pas encore aperçus, ils s’étaient collés au mouvement de la lame et remontaient vers le visage de Chloé, ils s’étaient plongés dans les siens. Lorsque la lame avait atteint l’étoffe, elle s’était glissée entre les deux bouts et était venue se placer sous le premier bouton de la chemise, le contact appuyé entre elle et le fil qui le retenait accroché avait libéré le corps de Chloé de sa seconde enveloppe, les autres n’allaient pas faire long feu, la peau de cette merveilleuse créature allait enfin être libérée.
Cette lame avait parcouru le corps tout entier et rodait maintenant autour de son nombril, centre de la chair. Elle aussi semblait prendre à chaque fois un plaisir fou à se balader ainsi sur cette terre plus fertile que toutes les autres.
Un sourire se dessinait lentement sur le visage dur et très concentré d’Egon. Il n’y avait eu aucune réponse de la part de Chloé. Son regard devint percant voire inquiétant, son visage se refroidit légèrement puis un sourire vint le réchauffer. Ses deux mains étaient remontées jusqu’à la gorge de Chloé et s’étaient séparées, le corps d’Egon recouvrait presque complètement celui de sa femme.
Ses mains étaient allées chercher quelque chose derrière les barreaux du lit. Elles étaient revenues avec deux bas, un dans chacune. Egon s’était mis à genoux sur le lit. Il s’était repenché alors sur cette fille qui était à moitié dévêtue, allongée sur son lit et qui l’observait avec un regard qui aurait plongé n’importe quel homme dans la folie la plus pure. Egon s’était encore une fois penché sur elle, sa bouche était venue se coller sur celle de Chloé mais ne s’y était pas attardée, son visage s’était dressé afin de commander ses mains. Elles s’étaient emparées de celles de Chloé et les entraînaient sans mal jusqu’aux barreaux du lit auxquels elles n’avaient pas eu de mal à les attacher. Chloé s’était laissé entraîner vers cette domination, cette peur était source d’excitation, de plaisir.
Elle semblait ne pas savoir si cette situation la fascinait ou si elle en avait peur. Egon se redressait encore une fois, saisit un drap qui s’était posé au sol non loin du lit, il allait le déchirer. La lumière défectueuse rendait la scène extrêmement étrange voire irréelle. Il caressait ce corps qui s’était perdu à lui avec le bout de tissu détaché du drap, il s’était laissé tomber sur elle, son visage était au-dessus du sien, ses mains remontaient vers sa bouche. Sans qu’elle ait pu résister, elle s’était retrouvée ligotée et bâillonnée sur le lit.
Egon s’était exécuté avec virtuosité, mais Chloé ne semblait plus avoir envie de jouer. Elle commençait à gigoter légèrement pensant qu’il allait la détacher, que ce n’était qu’une de ses fantaisies sans retombées. Ses petits gémissements semblaient le prier de la libérer de ses liens. Mais il repassait avec plaisir son visage contre celui de son jouet tant désiré. Il savait combien toutes avaient horreur de ses extravagances, mais ce n’est que lorsqu’il sentait cette peur monter dans le ventre de ses proies qu’il prenait du plaisir avec elles. Il l’avait embrassée à plusieurs reprises puis s’était relevé, il allait faire le tour du lit en la regardant se tordre et essayer de crier toute sa peur.
La chambre était une très grande pièce, quasiment vide comme presque toute la maison, les meubles étaient pour la plupart encastrés dans les murs, les lampes étaient rares et souvent remplacées par des néons bleus ou violets. Il avait ouvert son placard mural à l’intérieur duquel il disparu. Il en ressortit un appareil photo, un Polaroà¯d, il l’avait posé à côté de sa chaîne hi-fi de l’autre côté du lit, Chloé le suivait du regard, ses yeux étaient écarquillés. Son regard s’était fixé vers la table de nuit ou à chaque éclair apparaissait le couteau, si seulement elle avait pu bouger pour l’attraper et partir loin, plus rien ne lui venait à l’esprit à part l’idée d’être ailleurs. Egon lui était accroupi à coté de sa chaîne et semblait hésiter sur le choix de musique qu’il allait imposer à Chloé, son doigt parcourait les piles de disques laser bien organisées posées à terre. Finalement, il avait pris une décision soudaine à la vue de l’un d’eux. Il l’avait pris, ouvert, enfoncé dans le lecteur, s’était retourné et avait lancé un regard étrange, qui n’était pas pour réconforter son otage. Une fois le laser enclenché, il s’était relevé, il avait la télécommande dans une main et l’appareil photo dans l’autre. Il était debout, son image allait être immortalisée dans le regard de Chloé à chaque cri de lumière. Le regard de Egon avait totalement changé, il était extrêmement effrayant, sa tête était légèrement penchée vers l’avant et son regard pointait droit vers où elle était. Chloé ne voyait que le blanc de ces yeux qui lui mordaient l’âme. Cette vision avait déclenché une réaction de folie chez Chloé qui se mis à se débattre et à gémir tant qu’elle pouvait sans quitter ce démon du regard.
Egon lui, souriait en voyant cela, il avait tendu un bras derrière lui sans se retourner, pointait la télécommande en direction de la chaîne et allait appuyer sur un bouton. Un bourdonnement envahit la pièce, et un rythme à la fois lourd et rapide s’était mis à faire trembler les murs, des accords de guitare venaient déchirer l’air encore respirable de la chambre. Le visage d’Egon était épanoui mais son regard restait toujours le même, il ne bougeait pas et admirait ce qui allait être son oeuvre.
Il faisait deux ou trois pas en direction du lit, ses mouvements semblaient générés par cette musique envoà»tante. Il avait finalement saisi son Polaroà¯d des deux mains et fît une photo puis le tour du lit et en pris une autre, les flashs étaient plus blancs que les éclairs de la lampe. Il s’était penché et avait posé l’appareil au sol, s’était approché du lit et avait mis un pied dessus. Il se retrouvait ainsi debout sur le lit. Chloé tenta de lui donner un coup de pied dans les testicules, mais il l’avait arrêté net, comme s’il s’y était attendu. Il tenait sa jambe, il s’appuyait dessus et par son poids et sa force la plaquait à coté de l’autre sur le lit. Il avait posé ses deux mains sur les seins de sa victime mais les avait enlevées presque aussitôt, et il s’était plié en deux pour attraper le Polaroà¯d. Il faisait de nouveau des photos d’elle. Les images, encore invisibles, tombaient sur le ventre de Chloé. La main droite d’Egon avait posé l’appareil sur la table de nuit.
Il avait saisi son couteau et pointé sur cette magnifique gorge qui s’offrait à lui, il faisait glisser la lame jusque devant lui, jusqu’au nombril. Cela plaisait beaucoup à Egon, ce corps à sa merci, tendu, beau. Il abaissait son visage au niveau de celui qui reposait sur cet oreiller et dans un éclair lui avait donné un baiser sur le menton et léchait le corps de sa chère femme, de la lèvre inférieure à la base de la lame du Criss. Ce corps bandé était terriblement sensible, à peine effleuré, il se convulsait. Sa respiration se faisait entendre malgré le volume exagéré de la musique qui était discontinu, parfois puissant, d’autres fois presque imperceptible, mais, pour Egon, elle était un des facteurs principaux de ses motivations, dans l’excitation, dans l’empressement de l’acte ; entendre cette volupté à la fois inquiétante et rassurante lui permettait d’aller jusqu’au bout.
Sa langue remontait frénétiquement le long du tranchant de la lame, le sang, mêlé à la salive gouttait de sa chair écorchée et venait s’écraser, se perdre dans cette porte qu’est le nombril.
Elle semblait crier. Sa bouche était grande ouverte et malgré le tissu qui l’étouffait on croyait entendre quelque chose. Ses spasmes qui faisaient trembler tout son corps étaient de plus en plus violents, les veines de son cou se gonflaient et se rétractaient sans cesse. Sa tête se relevait et basculait lorsqu’elle voyait Egon, elle se détournait dans l’espoir d’échapper à l’emprise de son bourreau. Il appuyait plus fort la pointe du couteau, la peau cédait lentement mais sans que la lame ne pénètre trop loin dans la chair. Un son strident s’était échappé de sa poitrine, son corps était devenu brà»lant. Elle s’était brutalement redressée. Il avait alors amené son visage à côté du sien. Elle le regardait avec des yeux exorbités cernés de larmes épaisses. Il lui donnait hors du temps un baiser sur la joue, au même instant, il allait laisser le Criss s’enfoncer tendrement, langoureusement, sans qu’il puisse perdre une goutte de son regard et cela jusqu’à ce que sa main touche la peau de Chloé.
Quand les lèvres d’Egon se sont décollées de la joue, elles ont abandonné une trace furtive de sang qui allait vite être rejointe par une larme, la douleur incarnée s’était mise à couler sur ce corps condamné à l’éternité.
Egon retenait sa tête, redressée, pétrifiée par l’algie qui voulait la détruire, pour qu’elle ne retombe pas violemment sur l’oreiller. De sa main gauche il avait retiré le bout de tissu qui obstruait sa gorge, un souffle chaud émanant du plus profond de son mal était venu lui caresser le visage. Il y amenait sa bouche et allait refermer cette cavité qu’il voulait caresser à son tour d’un langoureux baiser. Il sentait sur son visage la respiration faiblir lentement. Il avait alors reculé, contemplé son regard, présent – apathique dur – qui se perdait peu à peu dans le vide. Ses mains avaient rejoint la faille par laquelle ce corps se vidait de sa vie, se perdait dans la pénombre hachée de la pièce. Il retirait le couteau de son trou et l’avait remis dans la poche de ses jeans. Il passait ses mains sur la blessure en faisant attention à ne pas appuyer dessus. Elles étaient alors ensanglantées, il les passait sur son visage. Il s’était levé et contemplait son oeuvre, il était allé vers la table de nuit et y prit le Polaroà¯d, il fit encore une photo de son travail. Il laissait le papier tomber par terre.
Il avait repris le couteau et coupé les bas qui la retenaient attachée. Dans un geste lent et apparemment difficile, elle avait ramené ses bras sur ses jambes. Son corps se prenait de spasmes encore plus violents. Ils ouvraient ses yeux, on aurait cru qu’ils allaient sortir de leurs orbites. Après quelques clichés, ce corps épuisé voulait être pénétré par la mort, démon qui allait d’ici une à deux heures se rendre maître des lieux qu’il avait envahis. Ses mains, lorsqu’elles étaient mues par un élan de douleur, attrapaient les draps et se crispaient, mais cela ne durait jamais très longtemps, car elle était très faible. Son ventre, éclairé de temps à autre par la lampe dont la lumière était si froide, se gonflait et se dégonflait sans cesse, poussant au-dehors le sang bouillonnant qui remplissait l’estomac perforé de Chloé.
Sa tête s’était retournée vers Egon qui dansait à coté d’elle, son regard fatigué, animé alternativement par des reflets qui lui redonnent vie pour un court instant. La douleur ne semblait pas atteindre cette partie de Chloé, seul son corps souffrait, son âme pure resterait alors sereine, essayant simplement de savoir pourquoi tout cela avait lieu.
Egon s’était penché et avait saisi puis arraché les lambeaux de sa chemise. Le mouvement que cela imposait à Chloé la faisait tousser, son souffle s’accélérait parfois seulement durant un bref instant. Il s’était reculé et avait repris en main son appareil photo. Il tournait quelques instants autour d’elle et saisit de son Polaroà¯d quelques moments infinis qui immortaliseraient ces images atroces qui lui procuraient un tel plaisir.
Il s’était rapproché d’elle et avait passé la main sur sa peau. Il lui avait défait et enlevé délicatement le pantalon qu’elle portait. Egon s’éloignait d’elle en la regardant. Il sortit de la pièce.
Il revint un instant plus tard armé d’une éponge et d’une bassine d’eau. Il avait tiré une chaise qui se trouvait près de la porte et s’était assis dessus. Il s’était mis à éponger le sang qui salissait le corps de cette déesse fuyant notre monde, il essorait l’éponge ensanglantée dans la bassine dont s’était troublée et rougie. Il allait se relever et faire quelques photos avant de remettre l’appareil dans le placard.
Le sol était couvert de photos, certaines étaient tachées de sang. Les éclairs issus de la lampe les faisaient briller, le corps encore vivant était là , seul propre au milieu de ce chaos qu’était devenue la chambre.
Il était allé baisser la musique, et ouvrir la fenêtre. Il faisait très noir dehors. Il s’était assis un instant sur le bord de la fenêtre, avait sorti un paquet de lucky de sa poche, tiré la chaise avec son pied afin de s’appuyer dessus, pris une cigarette, sorti son briquet de sa poche et allumé d’un geste vif la blonde qui dépassait de sa bouche maculée de rouge à lèvres et de sang. La fumée se pressait hors de ses narines, la lumière toujours aussi flashante dessinait à chaque éclair un nuage différent. Il attendait que Chloé s’endorme. Lorsqu’il retournait la tête, on ne voyait rien, c’était presque le vide dehors, était-ce ce qu’elle allait retrouver dans quelques instants ? Il laissait tomber des cendres encore rouges de sa fenêtre et les regardait disparaître dans l’obscurité.
Après un long paquet de cigarettes et quelques va-et-vient entre le lit et la fenêtre, Egon s’était retourné avec la chaise près du lit. Il s’y était assis et lui avait prit la main, elle était si douce et si légère. De son autre main, il lui caressait le visage. Elle était glacée de questions, bouillante de fièvre. Elle ne bougeait presque plus. Il était resté comme ça un très long moment.
Chloé, dans une dernière poussée de volonté, avait essayé de lui parler, mais elle n’avait plus la force de faire le moindre bruit. La lumière qui vivait dans ses yeux allait s’éteindre.
Ce dernier souffle encore tiède était à la fois plein de sensualité et de grâce. C’était la mort d’un ange. Hegel soutenait que ce n’était pas la vie qui reculait devant la mort et se préservait pure de la destruction, mais la vie qui portait la mort, et se maintenait dans la mort même, qui était la vie de l’esprit. Pour Egon tuer ces filles, c’était un peu sacraliser leurs êtres par le sacrifice, mais cela lui permettait surtout d’accomplir son être et d’assouvir ses fantasmes.
Il s’était dit qu’il ne n’ôterait plus jamais la vie à quelqu’un et cela même s’il devait en souffrir. Il n’aimerait plus.
Egon aurait aimé garder le corps, si beau dans son expression dernière, mais malheureusement, le temps humain altérerait trop vite cette pureté innocente et si lourde de sens pour lui.
Il ramassait toutes les photos qui recouvraient le sol, bon nombre d’entre elles avaient été altérées par le sang qui avait giclé dessus. Le temps avait immortalisé ces traces en séchant le sang. Il les arrangeait dans l’ordre chronologique avant d’en faire un tas et de mettre celui-ci dans une boîte à chaussures.
Egon caressait une dernière fois le visage de Chloé, il avait posé sa main sur son front, la faisait glisser sur son visage et avait fermé définitivement les fenêtres de son âme qui venait de s’enfuir.
Il lui avait ramené les bras autour du corps, avait défait les draps blancs ensanglantés dans lesquels il avait roulé le corps. Il avait ramassé le drap par terre, ainsi que les bas et le bout de tissu qui lui avait servi de bâillon et les mit avec la dépouille. Une fois le tout bien ligoté à l’aide de cordelettes noires, Egon chargé du paquet sur son dos était descendu calmement à la cave.
Après avoir posé le corps à terre, il alluma la cave. C’était une assez grande pièce où il n’y avait rien d’autre qu’une cheminée. Le sol, très propre, était en plaques de béton inégalement posé, il y avait cependant un espace vierge, en terre, d’environ deux mètres sur un mètre. Il se trouvait dans le coin opposé de la pièce, juste à coté de la cheminée. La matière dont étaient faits les murs semblait avoir des reflets métalliques. De par son inanité et son aspect, les lumières ancraient le trouble émanant de ce lieu détaché de la réalité, elles ne projetaient aucune chimère sur les murs. La facture du lieu lui accordait aussi une réaction au bruit très particulière, il semblait s’écraser sur les parois et rebondir à l’intérieur sans jamais en ressortir.
Il s’accroupit près du corps, et de ses deux mains défaisait un à un les noeuds qui liaient les lacets de corde noire étouffant sa tendre évadée. Une fois libérée, elle était indescriptiblement belle, l’expression acide et comblée qui parait son visage demandait simplement pardon, pardon d’avoir douté de lui, merci de l’avoir ainsi délivré, adieu à celui qu’elle aimera pour toujours.
Egon avait les mains sur les yeux, comme s’il avait voulu se les arracher et les lui offrir. Ses larmes asséchées par sa passion lui creusaient la peau. Il devait achever son don en lui offrant le repos.
Une main à terre l’avait repoussé vers les hauteurs de l’homme. D’en haut il allait se rendre près de la bouche démoniaque de cet faille. Sur le côté de la cheminée ornée de deux petites gargouilles si petites qu’on ne les dérangeait que si on s’approchait d’elles se trouvaient une pioche et une pelle. Leurs manches étaient recouvertes de rubans de velours noirs et violets, finis par des poignées de bois entourées de cuir. Ses doigts en chatouillant le velours s’étaient saisis des deux outils et les avaient emportés près de la parcelle de terre. Il s’était lancé à l’ouvrage, torse nu, maculé de terre, de sang, de larmes, il jetait sa douleur à chaque coup qu’il donnait à cette planète qui avait fait de lui un être hors du commun et l’avait choisi pour répandre une nouvelle expression de l’amour, qui le poussait à faire le mal pour être bien, cette folie, limite de sa liberté qu’il ne pouvait maîtriser lorsque s’offrait à lui la chair, la luxure, rien ni personne n’avait mis le doigt sur ses visions, on ne l’avait jamais inquiété de la fausseté de sa prophétie. Ces maux qui lui nouaient l’estomac, ces mots qui lui écorchaient la gorge, ces cris étouffés courants le long de ses fantasmes et pourtant si dérangeants, ne lui permettaient pas de se sentir bien, alors qu’il voulait qu’elles vivent leur mort libérées. Libérées de la douleur physique, substantielle, séparant l’âme du corps et qui mettrait celle-ci à l’abri pour un grand voyage.
Seules les épaules et la tête d’Egon sortaient du trou qu’il avait creusé, le jour allait suspendre la nuit et répondre à son appel dans quelques moments. De ses deux bras, il s’était extrait de la cavité funéraire qui percait son sol et avait rejoint Chloé, plongée dans ses rêves. Il avait ramassé le drap blanc et jeté dans le trou. Un rayon de douceur venait lui brà»ler le dos, la lumière allait être, il finissait de tendre le drap et allait sortir pour aller éteindre les lumières. A son retour, il saisit le drap dans lequel dormait cet ange au ventre ouvert à toute l’énergie du cosmos, il la portait au trou, et l’y avait plongée. La porte s’était mise à claquer. Un bruit terrible envahit les lieux dès qu’il avait mis en route le mécanisme d’aspiration. Il avait pris une bouteille de trychloéthylène qui se trouvait au pied de la cheminée. Au goulot de celle-ci était attaché un petit masque. Il se le mis autour du cou. Le contenu de la bouteille se déversait sans fin dans le trou et se mêlait à la terre. Il avait sorti son briquet, prit la dernière cigarette qui se trouvait sur le rebord de la cheminée dans une boîte plate en fer, c’était la vingtième, elle avait cinq ans, lui en avait à peine vingt de plus. La flamme du briquet s’était délicatement posée sur elle. Un nuage de fumée troublait le corps de cette entité brà»lante.
Sa main avait laissé le briquet s’envoler, encore allumé vers l’orifice qui se présentait à ses pieds. Le bruit de la ventilation donnait le rythme aux mouvements d’Egon qui s’était pressé de clore la lumière pénétrante du jour qui s’émerveille. La base du briquet allait heurter la paroi de l’excavation, il s’en était suivi un changement de route qui s’achèverait aux cotés de Chloé, l’éclat blanc et jaunâtre, épuisé de sa traversée avait mis feu, seule clarté dans le noir. Lorsque la flamme-enfant était venue narguer l’eau de l’enfer à l’orée de la chair, ses bras étaient devenus des lances qui écorchaient la matière et crachaient la cendre.
Egon s’approchait de Chloé qui se défaisait de son enveloppe de chair. Il s’était assis au bord de la tombe, transpirant. Sa cigarette parlait au brasier à chaque bouffée.
Il l’avait jetée au feu. Ses jambes l’avaient poussé hors de lui, il s’était levé comme perdu, il avait ramassé la pelle et jeté de toutes ses forces la terre qui faisait rempart sur l’un des côtés de l’ouverture. Son geste, violent, avait tué le feu et, dès la seconde portée de terre, les flammes s’étaient recroquevillées dans leur monde sans plus détruire ni réchauffer dans le nôtre. La pénombre avait beau aveugler Egon, la terre allait toujours dans le trou. Une fois encore il se sentait muni d’ailes, d’une force qui dépasse celle de tous les hommes réunis. Mais une fois qu’il n’arrivait plus à attraper la terre encore répandue sur le sol, il avait jeté la pelle et poussa son corps contre le mur.
La lumière percait maintenant à travers les volets. Un rayon divin se frayait un chemin dans la poussière que l’aspiration n’avait pas encore évacuée. Elle lui appuyait sur le milieu du front. Egon était épuisé, assis contre le mur. S’était-il trompé de Dieu ?
La porte s’ouvrait et laissait place à son passage. Il abandonnait la pièce, il avait coupé l’aspiration, ouvert les volets, rendu à la cave sa sérénité.
Il était ensuite revenu chargé d’un sac de ciment, avec de l’eau, avec du sable.
Lorsque le sol de la cave devint enfin uniforme, il regagna la surface. La porte du placard de sa chambre s’était de nouveau ouverte. La boîte en était sortie. Il regagnait le salon, seule pièce de la maison identifiable par son aspect normal. Il avait mis la boîte sur la grande table poussiéreuse. La boîte s’était ouverte. Elle était pleine de photos. A chaque fois qu’il posait un cliché sur cette table, une larme s’échappait de son coeur, s’évadait de son corps par ses yeux vers le monde des mortels aux coutumes qui n’étaient pas les siennes, cette perle de douleur s’évaporait au contact du papier glacé et y déposait une marque en forme de cercle, dernière trace terrestre d’un amour à jamais ancré au fond de son âme.
Egon s’était levé de cette position banale. La vie semblait s’éteindre à l’idée de ne plus aimer. Il se tint droit devant la fenêtre durant quelques instants. L’avenir ne semblait pas vouloir lui sourire, il se sentait perdu, cette fois on se rendrait compte de la disparition, mais cela n’était rien à côté du fait qu’il ne serait plus jamais amené à vivre, ni à aimer…
Egon s’était assis sur son canapé, son regard plongé dans le vide. Le temps entrait dans une dimension où il n’avait plus lieu, où rien n’était plus. Le mur blanc noyait ses songes dans le vide. Les meubles s’effaçaient un à un pour ne laisser de place qu’à l’imaginaire. Les ailes de ses songes se déployaient à l’infini et se préparaient à emporter ces maux qui l’avaient tant hanté vers des cieux où ils pourraient être saints. Sa vie fuyait depuis le premier jour où il avait volé une vie à son profit, ce n’était pas pour le Bien qu’il ait tant de fois sacrifié, mais pour sa perversion. Ses yeux se fermaient vers l’intérieur, il ne voulait plus se rappeler, peut-être même ne plus exister.
Il se dirigeait maintenant vers la porte qu’il avait ouvert d’un geste lent. Dehors personne ne savait. Il traversait la rue laissant sa maison ouverte au premier curieux. Plus jamais un son ne sortirait de sa bouche, il était le mal. Il se mouvait, était en train de fuir vers l’infini, caché dans une foule aveugle et si puritaine… Les visages le frôlaient, mais rien ne pouvait détourner son regard froid. Les croisements cédaient aux passages à niveau, aux autoroutes, aux sentiers. Le jour chassait la nuit. Il allait et jamais n’arriverait.