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Posté le 31 mai 2011 dans Après le feu, Impressions, presse / textes, Satyagraha Paname, uishet -> lien permanent
Guillaume Massart :
Hypermnésique.

Publié le 30 mai 2011 dans L’ESSAIM VICTORIEUX DES MOUCHES D’EAU

* Ces histoires de HD et de SD sont aussi une des raisons pour lesquelles je produis les films de Jacques Perconte, qui met le doigt sur cette idée de résolution absolue. Lors de la présentation d’Après le feu pour le premier anniversaire de Triptyque Films, quelques-uns ont reproché au film de ne pas revenir « à  la normale », ou de ne pas « arriver en gare ». Je pense qu’au contraire c’eut été renoncer au film que de céder à  cette tentation et qu’il fallait bien qu’Après le feu aille jusqu’au bout de sa trajectoire d’hypermnésie, pour reprendre mon terme d’avant-hier.

* Après le feu, comme Uishet par exemple, est évidemment une affaire de trajectoire et de déplacement, un film « en voyage ». Le premier niveau de lecture est celui du transport, la barque ou le train. Mais c’est aussi une translation depuis ce support « pauvre », en basse définition, jusqu’à  une reconstruction (paradoxale puisqu’elle en passe par l’alteration) du monde par sa surdéfinition progressive. Arrivé au terme du nombre d’informations visuelles emmagasinées, la bande passante mémorielle arrive à  son comble et s’arrête. C’était l’effet bouleversant de Satyagraha, la matraque suspendue en l’air, comme si le film refusait de laisser la violence survenir sous sa garde. C’est ici l’effet narratif d’un voyage mené à  sa limite. Ce n’est pas un hasard que le train semble pouvoir s’effondrer dans un vide numérique sous les rails, pas un hasard si l’image saute à  quelques reprises, annonçant déjà  la saturation finale. Je me suis souvent demandé comment Jacques avait pu décider de la durée du film et certains, sortis de la fascination scopique avant le terme des 7 minutes, se demandaient si une ou deux minutes n’étaient pas de trop. J’ai compris à  force que la saturation vient aussi par la durée, par le dépassement, justement, de cette première fascination scopique de l’effet pour l’effet. C’est aussi pourquoi Après le feu n’est pas un clip ou un gimmick. Ce moment où l’on cesse de tenter de se souvenir du paysage avant altération pour commencer à  l’observer pour sa nouvelle flore, comme un monde neuf dont on ne connaîtrait l’extrémité, c’est le moment où Après le feu se dépasse, laisse voir un après : la terre plate et son gouffre finnis terrae (pas étonnant que le film prenne place sur une île).

* Les premiers essais du nouveau film de Jacques sont stupéfiants, d’abord dans leur nudité. Tournés à  l’appareil photo-numérique sur des échelles extra-larges, les plans bruts, documentaires, sont déjà  infiniment pleins et quelque part presque illisibles. Cette fois, nous sommes fixes, il y a déjà  énormément à  prendre, presque trop à  prendre, dans les détails de la roche, dans les rides infinies du ressac, dans la complexité quasi-pointilliste des lumières, des matières et des tons. Le phénomène d’hypermnésie fonctionne à  plein : on ne sait plus où regarder, chaque micro-détail est aussi défini que l’impression d’ensemble, chaque pixel serait à  examiner. Nus, les plans sont déjà  d’une définition presque absolue, celle que d’ordinaire Jacques s’applique à  révéler dans ses plans en basse définition. D’ordinaire, la compression, plutôt que d’enlever de l’information, en ajoute : l’écran entier est à  lire dans sa moindre parcelle et c’est le mouvement qui permet la focalisation, indispensable au spectateur.

* D’où la petite révolution du nouveau film de Jacques. Le processus de compression appliqué à  cette très haute définition, va en effet désormais avoir pour objectif de retrouver une focalisation, de retrouver un chemin pour l’oeil. J’avais vu il y a peu une très étrange vidéo qui, par un système de capteurs, permettait de savoir où chaque membre d’un groupe de spectateurs posait l’oeil seconde par seconde. Sur un plan nu du nouveau film de Jacques, il y aurait à  mon avis autant d’axes de regards que de spectateurs. Peut-être certains trouveraient refuge au centre, au moins rassurés par le point de mire qu’est le cadre. Mais ensuite ? Que regarder dans ces panoramas trop-pleins ? L’issue trouvée par Jacques dans cette hypermnésie organisée relève justement du retour du souvenir, du refoulé de l’image. Ce tracteur sur la colline qui passe et repasse, en voici le fantôme de retour, et le sillon que la compression lui fait tracer dans le décor déroute et trace un chemin pour l’oeil… (exemple parmi d’autres, vous verrez quand il sera fait)

* Ce sont des dispositions de regard que Jacques essaie d’inventer. Que pour ce faire il s’en réfère aux impressionnistes, donc au fait même de voir, est un bel aveu.

 

 

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