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Posté le 3 janvier 2007 dans au fil des projets, Entre le ciel et la terre, ici et là dans le monde -> lien permanent
L’île Au Trésor

Texte et illustrations extraits de Nature, Art, Paysage, par Gilles A. Tiberghien, Atces sud, 2001.

carte au trésor

Si ces artistes se sont intéressés aux cartes, ce n’est pas seulement parce qu’elles leur permettaient de se guider ou de repérer les endroits où ils se proposaient d’intervenir, mais c’est aussi pour les possibilités plastiques qu’elles offraient et les dérives fonctionnelles qu’elles leur permettaient : c’est que la carte a probablement un rapport essentiel avec la chose artistique. Emmanuel Hocquard écrivait dans un texte, Il rien, recueilli dans le volume intitulé Un privé à  Tanger : « Nous savons bien ce qu’est une carte. C’est la transposition d’une réalité abstraite (le terrain) à  une fiction concrète (sa représentation). Autrement dit, c’est une métaphore. Mais cette métaphore a ceci de particulier qu’elle offre des garanties concernant la vérité qu’elle est censée charrier : c’est une métaphore chiffrées. »

Nancy Holt - buried poems #2

Nancy Holt - buried poems #4

Cette puissance métaphorique recouvre pour partie les caractéristiques fonctionnelles particulières aux cartes. Mais ce qu’Emmanuel Hocquard reconnaît comme propre à  l’activité littéraire par rapport au modèle cartographique auquel elle obéit, c’est un écart de sens ou de langue qui fait la fiction elle-même. Ce caractère fictionnel, comme un halo qui entoure les cartes, même les plus précises et les mieux référencées, est bien mis en évidence par Nancy Holt dans ses Buried Poems. En 1969, dans un travail très discret, évoqué dans sa biographie mais dont une partie – une partie de ce qui pouvait l’être – n’a été publiée que très récemment, elle offrait à  cinq personnes (Robert Smithson, son mari, Philip Leider, Michael Heizer, Carl Andre et John Perrault) un ensemble de documents comportant photos, descriptifs géographiques, éléments d’information sur la faune et la flore locales, itinéraire et cartes qui allaient de la localisation la plus large sur le continent nord-américain aux indications les plus précises. L’emplacement du container était signalé par un point rouge. Si le poème est le véritable don, le reste, c’est-à -dire le petit livret qui comporte toutes ces indications, en constitue comme une sorte de mise en scène indissociable. Le choix du lieu et le parcours indiqué sont censés obéir à  de secrètes analogies avec la personnalité de l’auteur, renouant à  certains égards avec le genre du blason. Quant au poème enterré dans un tube en plastique hermétique, prévu pour résister à  peu près le temps d’une vie humaine, on peut se demander s’il existe. Il est vraisemblable qu’aucun des destinataires n’a fait le voyage pour le retrouver, mais l’idée, la fiction de la quête qui emprunte quelque peu au voyage initiatique au terme duquel le sujet, en se confrontant à  l’autre î la nature en l’occurrence î, fait l’expérience de soi, cette idée qui évoque aussi les jeux de pistes de l’enfance, participe d’un certain plaisir constitutif, aussi, de l’art. C’est le côté Ile au trésor, et c’est d’ailleurs le roman du même nom qu’évoque Emmanuel Hocquard dans le texte déjà  cité, où la carte, qui est à  la fois le moteur du récit, celui de la course au trésor et celui de l’écriture î puisque sa configuration en commande la construction î, où la carte donc, en permettant de localiser l’île par 60° 17’40″ de latitude et 19° 2’40″ de longitude, n’indique en fait rien î car aucune île n’existe à  cet endroit : la représentation de l’île n’est une représentation de rien.

Emmanuel Hocquard, Un privé à  Tanger, POL, Paris, 1987 / ill. n°1 Robert Louis Stevenson, carte de l’île au trèsor, 1883. ill. n°2 : Nancy Holt, buried poem #2, 1969. ill. n°3 : Nancy Holt, buried poem #4, 1969.

 

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