La relation entre le public et les films d’avant-garde a toujours été difficile, plus que celle entre le public et d’autres formes d’art. C’est lié au fait que la cinématographie a été inventée pour enregistrer la réalité et la reproduire. Tout le langage cinématographique s’est construit autour de cette attente du public de voir la réalité. Toutes les règles du langage cinématographique de Hollywood sont basées sur l’illusion de voir la réalité. Quand je regarde une peinture, je suis totalement conscient qu’elle a été peinte par quelqu’un d’autre. Quand je regarde un film, j’ai inconsciemment l’impression que l’image est en quelque sorte produite par moi-même. Cela veut dire que l’auteur se cache derrière ces images, l’auteur qui est à l’origine de ces images. En revanche, quand je présente des images cinématographiques qui ne donnent pas l’illusion d’être la réalité – ce que le film d’avant-garde fait de manière exemplaire – je provoque chez le public une réaction beaucoup plus virulente que quand il regarde une peinture. Quand je regarde un tableau, je peux me dire : » Ca ne me plait pas, c’est abstrait, je ne m’y reconnais pas, aucune idée de ce que le peintre a voulu dire. » Quand je vois un film avant-gardiste qui contredit fortement les perceptions codées de la réalité c’est comme une attaque de ma propre perception. De là vient ce grand refus du film avant-gardiste par le public, ce qui vaut pour toute l’histoire de ce genre.
Peter Tscherkassky, réalisateur, entretient extrait, Magazine Court-Circuit, arte, 2000