Cinémathèque Française
Cinéma d’avant-garde / Contre-culture générale
Offensivité des images.
Frédéric Tachou, Jacques Perconte, Pascale Cassagnau,
trois propositions historiques et théoriques.
« Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment. » (George Orwell, 1945). Comment et à quel point les images agissent-elles, par où et pourquoi le symbolique devient-il performatif ? On peut nommer cette dimension l’offensivité des images, pour indiquer leurs propriétés à la fois de pénétration psychique, d’intervention active dans les phénomènes et de rebond sur les noumènes. Trois auteurs travaillent aujourd’hui de façon simultanément pratique, historique et théorique sur des chantiers connexes en matière de performativité des images : Frédéric Tachou sur l’obscénité (images offensantes/images polémiques/images de guerre) ; Jacques Perconte sur la programmation (aux sens technologique et politique) ; Pascale Cassagnau sur la guerre des images (entre elles et à l’assaut de la doxa) ‟ à l’ère de la reproductibilité électronique de l’information ”.
Dans ses films comme dans sa monumentale Thèse Aux origines d’une industrie : photographie ‘obscène’ et cinéma pornographique primitif (1850-1950), soutenue en 2010 sous la direction de Marc Jimenez, Frédéric Tachou, grand styliste du questionnement, analyse des corpus de représentations souvent structurés par un imaginaire martial. Artiste exigeant, il écrit : ‟ Le mouvement extatique que Sergue௠M. Eisenstein voulait provoquer avec ses films dans les années trente indique déjà par son nom même comment il s’agissait d’ébranler et de transformer la conscience du spectateur bien au-delà de ce à quoi il pouvait s’attendre. Il n’y a pas de raison que le cinéma expérimental se situe en-deça de cette ligne générale. ” Sa présence permet aussi de célébrer l’anniversaire des 40 ans du Collectif Jeune Cinéma, coopérative dont Frédéric Tachou est un membre actif et qui depuis 1971, sous la généreuse égide de Marcel Mazé, fédère les énergies expérimentales.
Jacques Perconte, plasticien expert des technologies contemporaines, propose une histoire de l’émergence des styles numériques, la première du genre, conçue avec l’analyste Bidhan Jacobs. Au corps à corps avec les machines, Jacques Perconte réinjecte de l’aléa, des gestes créateurs, de la culture picturale et du désir dans les algorithmes et entre les lignes de code, il exige et obtient du numérique ce qu’en principe celui-ci ne devrait pas donner, de l’hapticité. Son oeuvre jaillit comme le clinamen capable de faire dévier l’abstraction numérique pour la transformer en matière et en énergie.
La curatrice et créatrice d’organisations Pascale Cassagnau a publié deux traités qui conjuguent l’élégance de l’astrolabe et l’acuité du satellite : Future amnesia (2007) et Un pays supplémentaire : la création contemporaine dans l’architecture des médias (2010). Elle cartographie pour nous l’histoire des utopies et des conflits nés à l’intersection de la télévision et des arts sur le terrain des représentations de la guerre. Ce que Pascale Cassagnau écrit de Gunther Anders vaut aussi bien pour elle, qui ‟ n’a cessé d’interroger le monde des médias sous l’angle de l’obsolescence des différentes et successives versions du monde délivrées par celui-ci, au gré des mutations technologiques les plus avancées, au gré des formes de dominations renouvelées ”.
Nicole Brenez.
*
Vendredi 23 septembre 19h30 : Frédéric Tachou 1 : œuvres
« J’ai abordé le cinéma par son côté le plus classique (films à scénarios, équipes techniques, production et distribution dans les circuits classiques du court métrage), pour arriver à ses marges, où les enjeux tiennent constamment dans le débordement des cadres. Dans mon travail de recherche universitaire, j’ai placé la naissance de la production de masse d’images pornographiques sous les faisceaux croisés d’analyses historiques, techniques, phénoménologiques, sociologiques et psychologiques. Sont progressivement apparus les contours d’un phénomène culturel emblématique de la modernité, phénomène par lequel les différences entre sujet et objet, qualité et quantité, êtres et choses, se brouillent. Entre ma pratique et mes recherches théoriques, il n’y a pas de lien, sinon le souci de préserver dans la première la spontanéité et l’intuition que les secondes pourraient tuer parfois. ” (Frédéric Tachou)
Totem
de Frédéric Tachou
France/1999/7′/Super8/coul/Vidéo num
Textes et réalisation : F. Tachou
Images : F. Tachou et Pierre Parmentier
Montage : Eric Eloy : Pierre Parmentier
Composition sonore : F. Tachou
‟ Totem désigne ici tout ce qui représente le phallus et sa puissance. Depuis l’origine de la conscience jusqu’aux formes les plus développées de civilisation, l’idée de puissance associée à l’image du phallus est une donnée constante. Je me suis plongé dans les méandres de ces représentations pour témoigner de leur importance et de leur intérêt. Film réalisé pour l’exposition collective Dildo Show à Paris en 1999. ” (F.T.)
J’aime la guerre
de Frederic Tachou
France/2000/15′/Super8/coul/Video num
Texte et realisation : F. Tachou
Images : F. Tachou, B. Radic
Composition sonore : C. Chazelas
Montage : C. Krassowsky, A. Sourriau
Assistants animation : G. & M. Stibio
‟ Comment les jeux de guerre enfantins et l’imagination alimentee par les images et les recits de guerre, evoluent dans ma conscience adulte. ” (F.T.)
Petit matin
de Frédéric Tachou
France/2002/30′/Vidéo num
Texte, réalisation et conception sonore : F. Tachou
‟ Film politique expérimental conçu dans le cadre d’un programme de films politiques intitulé Réactions au 21 avril. Programme diffusé par Les Productions Aléatoires. ” (F.T.)
J’ai fait un beau voyage, je vais vous le montrer Chapitre II
de Frédéric Tachou
France/2002/20′/Super8/16 mm/Vidéo num
Images : F. Tachou
Montage : E. Mittet
Conseiller composition sonore : C. Chazelas
‟ Je voyage dans l’ex-Yougoslavie et je filme à travers les fenêtres de l’autobus ou de la voiture. Une vieille chanson qu’entonnent les deux tziganes du film de Slobodan Sijan Qui chante là -bas ? résonne dans ma tête. Comme les personnages du film de Sijan, je vais à Belgrade en traversant la Bosnie. Je rencontre des gens en cours de route, m’arrête dans des lieux où l’on me montre des choses. ” (F.T.)
Reste-Là !
de Frédéric Tachou
France/2006/10′/16 mm/35 mm
Images et montage : F. Tachou
Composition sonore : C. Chazelas
Mixage : B. Laurent
‟ Film expérimental utilisant la technique de multi-exposition. Une nuit, j’ai rêvé de mon père. Je voyais une maison familière dont l’unité architecturale était disloquée au profit d’un assemblage discontinu de pièces, d’ouvertures et d’espaces. Le film montre ces ‘espaces du dedans’ hantés par la présence de celui qui venait de mourir. ” (F.T.)
Vendredi 23 septembre 21h30
Frédéric Tachou 2 : Une histoire des films pornographiques primitifs
‟ Ce programme sera constitué de bandes pornographiques anonymes, sauf une, appartenant à des collections institutionnelles ou privées. Elles ont été recopiées sur des supports vidéo. J’ai dénommé ‘films pornographiques primitifs’ un corpus de films caractérisés par le fait d’être en noir et blanc, muet et de durée courte. Ils ont été réalisés jusqu’aux environs de 1955. ” (Frédéric Tachou)
Filmmuseum n°1
Anonyme/Origine inconnue/circa 1910/2’20 »/nb/35mm/vidéo
‟ Film qui, selon moi, est l’un des plus anciens conservés. Provient de la Cinémathèque d’Amsterdam. ” (F.T.)
On The Beach/The Goat
Anonyme/Etats-Unis/circa 1915/7′/nb/35mm/vidéo
‟ Film dont le scénario contient une morale. Il a faisait partie du premier programme pornographique officiel intitulé History of the Blue Movie, sorti en salles aux Etats-Unis en 1970. Le montage de ce programme avait été assuré par un exploitant de San Francisco : Alex de Renzy. ” (F.T.)
El Ministro
de Ricardo et Ramon de Baà±os
Espagne/1926/40′/nb/35mm/vidéo
‟ Film particulièrement intéressant parce que l’on connaît ses auteurs ainsi que son commanditaire : le Roi d’Espagne Alphonse XIII. Conservé à la Cinémathèque de Valence. ” (F.T.)
Unschuld vom Lande
Anonyme/Allemagne ?circa 1935/3′/nb/35mm/vidéo
‟ Film intéressant par sa composition évoquant indiscutablement le style soviétique. ” (F.T.)
Avec ses pieds
Anonyme/France ?/circa 1940/9’06 »/nb/35mm/vidéo
‟ L’un des rares films où la recherche esthétique prime sur la visualisation. ” (F.T.)
La femme au portrait
Anonyme/France/circa 1950/11’42 »
‟ Un grand classique de la production française. ” (F.T.)
Vendredi 28 octobre 19h30 : Jacques Perconte 1 : émergence des styles numériques, une approche physique
‟ Jacques Perconte, artiste et plasticien français de 36 ans, fait l’expérience précoce des technologies numériques et du réseau au milieu des années 90, en étant l’un des premiers à explorer l’espace naissant d’Internet (au CNRS) qu’il découvre avec quelques pionniers disposant de connexions et des outils informatiques les plus adéquats en France. Bien que manipulant des hautes technologies, Jacques Perconte se revendique comme un bricoleur. Dans la lignée des pionniers de l’art par ordinateur des années 60 qui avaient détourné les origines militaires de la technologie numérique, ainsi que l’authentifie le terme ‟ cybernétique ” (Michael Noll, John et James Whitney, Stan Vanderbeek, Lillian Schwartz, Nicolas Schà¶ffer, Pierre Rovere, Vera Molnar etc.), son travail ne participe ni du refus de la machine, ni de l’engouement, ni du compromis, ni de la négociation avec elle, mais d’une quatrième attitude, le dialogue : la machine comme moyen, l’usage de l’outil dont l’homme demeure le responsable, y compris des pouvoirs que la machine lui rend au centuple, surtout lorsqu’il lui confie des opérations mentales (le calcul). Dans la lignée des programmes d’investigation d’ensemble sur les propriétés et les puissances du cinéma des années 70 (Malcolm Le Grice, Peter Gidal, Paul Sharits, Anthony MacCall), Jacques Perconte appréhende le numérique selon une approche physique permettant une emprise plus grande de la pensée sur les paramètres du sensible, du visible, de l’audible, entendus comme vibrations et sensations. Cette approche physique se décline à partir de la compréhension et de la critique de la nature, des propriétés intrinsèques et des processus du numérique – des potentialités aux défaillances – et en déploie les puissances selon une reprogrammation de la captation, une libération des signaux et un décodage de la visualisation. L’oeuvre de Jacques Perconte est ici mise en regard avec un éventail d’initiatives radicales internationales qui toutes accusent/récusent le numérique comme machine à gouverner, et le réinventent comme machine à libérer formes, beauté et êtres humains. ” (Bidhan Jacobs)
Bits
de Gary Hill
1977/USA/2’59 »/ coul/ vidéo/vidéo 1 pouce NTSC
Datamatics
de Ryoji Ikeda
2006/Japon/coul/fichier numérique (extrait sous réserve)
Le silence est en marche
de Pierre-Yves Cruaud
France/2001/3’30 »/coul/mini-DV/Bétacam SP
ZIJKFIJERGIJOK
de reMi
Autriche/2002/3′/coul/fichiers numériques/mini-DV
Fig.4
de Augustin Gimel
France/2004/5′/coul/images multiformats numériques/mini-DV
Principle 1
de BOTBORG (Scott Sainclair, John Musgrove)
Australie/2005/3′/coul/ video, fichier numérique/DVD
Volto Telato
de Paolo Gioli
Italie/2002/2′/n&b/ photographie argentique, mini-DV/ DVD
Repeat Until Love and Loss Overload
de Roxane Billamboz
France/2007/2’20/coul/mini-DV/mini-DV
Retrograde Premonition
de Leighton Pierce
USA/2010/5′/coul/ JPEG/ fichier numérique
Artcode Bar (Colorcalm)
de Irma Boom
Hollande/2005/5′/DVD
Mercurius (Luna Series #1)
de Bret Battey
GB/2007/6′/coul/fichier numérique/fichier numérique
Ephèse
de Hugo Verlinde
France/2004/8′/coul/fichier numérique/mini-DV
Brilliant Noise
de Semiconductor (Ruth Jarman, Joe Gerhardt)
USA/2006/6′/coul/fichiers numériques/DVD
Energie !
de Thorsten Fleisch
Allemagne/2007/5′/coul/photographies argentiques/fichier numérique
UFO Dreams
de Johanna Vaude
France/2011/6′/coul/3D, Mpeg4/mini-DV
Vendredi 28 octobre 21h30 : Jacques Perconte 2 : émergence des styles numériques, une approche physique
Night Music
de Stan Brakhage
USA/1986/31″/coul/16mm
The Garden Of Earthly Delights
de Stan Brakhage/USA/1981/1’44″/coul/16mm
Le Soleil de Patiras
de Jacques Perconte,
France/2007/3’16″/coul/ appareil photographique numérique/ fichier numérique
Lapis
de James Whitney
USA/1966/9’15″/coul/16mm
Satyagraha
de Jacques Perconte
France/2008/6′/coul/ archives numériques, appareil photographique numérique/ fichier numérique
snsz (the devil)
de Jacques Perconte
France/2002/7’40″/coul/ s-vhs, fichier numérique/fichier numérique (extrait)
isz
de Jacques Perconte
France/2003/17′/coul/ images numériques/ fichier numérique
Uishet
de Jacques Perconte
France/2007/13′/coul/ mini-DV, fichier numérique/fichier numérique
Après le feu
de Jacques Perconte
France/2010/7′/coul/ appareil photographique numérique/ fichier numérique
Impressions
de Jacques Perconte
France/2011/26′/coul/ multiformat numérique/ fichier numérique
Vendredi 25 novembre 19h30 : Pascale Cassagnau 1 : De la guerre / les images
» Television is not an object. It is a live communication media. (Aldo Tambellini, Black TV, 1969). Les histoires de la modernité artistique du XXe siècle racontées par Nick Toshes ou Greil Marcus accordent une grande place au dialogue permanent entre l’expression artistique et les dispositifs machiniques, dans la littérature et la musique notamment. Si l’histoire politique de la télévision évoque la rupture du pacte social et les soubresauts de la communication, la télévision comme espace public dialogique confirme la vidéo en tant que medium impur, faisant de l’autonomie de l’art contemporain un concept impossible. C’est ainsi qu’un grand nombre d’artistes ont choisi d’explorer les potentialités conceptuelles de la télévision et de la vidéo pour faire de l’espace de la communication un lieu critique. Dès 1969, l’exposition » Television as a creative medium » organisée par Howard Wise dans sa galerie de New York réunit des artistes travaillant aux frontières des nouvelles technologies, de la vidéo et de la télévision. En outre, Howard Wise conçoit l’espace de sa galerie comme un centre » d’information « , portant à la connaissance d’un large public des informations provenant de la guerre du Vietnam. De nombreux artistes et des cinéastes contemporains font du champ des medias le territoire d’une utopie possible, pour en faire le lieu d’une critique des images, pour y concevoir de réels projets alternatifs, pour représenter à leur tour les représentations de la guerre et des territoires en crise.L’attention portée aux registres diversifiés des images et de leurs espaces-temps, voire de leur dessin, construit pour le spectateur l’exigence d’un espace de lecture attentive.
Les oeuvres de Dora Garcia, de Bouchra Khalili, de Tariq Teguia, de Robert Enrico déclinent ici quatre modes de constructions d’espaces narratifs qui « exposent » des géographies humaines en crise. ” (Pascale Cassagnau).
M*A*S*H (Adaptation: a Korean- Brechtian version)
de Dora Garcia
Espagne/2008/40′/coul/vidéo HD
« De nature performative, le cinéma de Dora Garcia fait de la reprise son motif principal. Tourné en Corée, M*A*S*H* met en abyme le scénario du film de Robert Altman pour en redoubler la force subversive. » (P.C.)
Straight Stories 2: Ahmad
de Bouchra Khalili
France/2008/9′/coul/vidéo
« Les films de Bouchra Khalili sont autant de portraits à la première personne portant le témoignage de subjectivités déconstruites, élaborés dans des géographies en conflit. » (P.C.)
Musa
de Bouchra Khalili
France/2008/11′/coul/vidéo
Mapping Journey #3
de Bouchra Khalili
France/2009/3’30 »/coul/vidéo
Ferrailles d’attente
de Tariq Teguia
Algérie/1998/13′/coul/vidéo
« Dans ses films, le cinéaste algérien s’attache à mettre en exergue la composition et la décomposition de paysages ou, comme l’écrit Jacques Rancière, une confrontation d’espaces qui est « un système d’écarts entre les manières de constituer un territoire ». » (P.C.)
La clôture
de Tariq Teguia
Algérie/200/23’50 »/coul/vidéo
Vendredi 25 novembre 21h30 : Pascale Cassagnau 2 : De la guerre / les images
Chickamauga/ L’Oiseau moqueur/ La rivière du hibou
de Robert Enrico
France/1962/98′/coul/35mm
« Adaptation d’une nouvelle d’Ambrose Bierce, La rivière du hibou est une évocation des mises à mort de la guerre de Sécession à travers les figures de la syncope, de l’ellipse, du vide. » (P.C.)
Nous remercions chaleureusement les auteurs et ayants-droits.