« Les événements de Montreuil me font parler de Gandhi ».
Propos recueillis par Ludovic Lamant et retranscrits par Pierre Lascar pour mediapart : Flashball et rafale d’images.
Une vidéo par jour. A partir du 10 décembre 2009 et jusqu’au 20 janvier 2010, sur Mediapart, une quarantaine d’artistes (réalisateurs, graphistes, plasticiens…) présenteront un court film inspiré par les actes de violences policières et les ravages du flashball. Un travail exceptionnel, initié par Nicole Brenez et Nathalie Hubert, peu après la répression d’une manifestation à Montreuil, en juillet 2009, au cours de laquelle un homme de 34 ans a perdu un oeil.
Jacques Perconte est l’auteur de Satyagraha, au sein du film collectif ‟Outrage & Rebellion”.
Pourquoi Gandhi?
L’idée est venue de mon amie qui est professeure de yoga. Les principes de Gandhi et la non-violence me sont apparus pertinents. Gandhi a su donner aux hommes qui l’attendaient une force inouà¯e. Une force telle qu’il leur a été possible d’aller affronter pacifiquement l’armée britannique pour sauver leur avenir parce que leur vie n’était plus possible dans les conditions imposées par le régime colonial.
Un affrontement pacifique?
Les Indiens marchaient impassiblement, droit vers les militaires qui barraient le passage. Ils avançaient et s’exposaient sans aucune résistance aux violences démesurées de la force à laquelle ils s’opposaient. Gandhi, lors de son procès à Ahmedabad, demande au juge de peser son choix. Soit il l’estime innocent et il démissionne et ce faisant refuse le système qu’il sert. Soit il le reconnaît coupable et le condamne. Et Gandhi demande que cette condamnation soit sévère parce qu’elle est l’expression du mal et qu’elle doit être exemplaire à ce titre. Gandhi prône la non-coopération avec le mal pour la coopération avec le bien.
Extrait du discours de Gandhi à Ahmedabad, en mars 1922 : ‟A mon humble avis, la non-coopération avec le mal est un devoir tout autant que la coopération avec le bien. Seulement, autrefois, la non-coopération consistait délibérément à user de violence envers celui qui faisait le mal. J’ai voulu montrer que la non-coopération violente ne faisait qu’augmenter le mal et, le mal ne se maintenant que par la violence, qu’il fallait, si nous ne voulions pas encourager le mal, nous abstenir de toute violence.”
‟La non-violence demande qu’on se soumette volontairement à la peine encourue pour ne pas avoir coopéré avec le mal. Je suis donc ici prêt à me soumettre d’un coeur joyeux au châtiment le plus sévère qui puisse m’être infligé pour ce qui est selon la loi un crime délibéré et qui me paraît à moi le premier devoir du citoyen. Juge, vous n’avez pas le droit, il vous faut démissionner et cesser ainsi de vous associer au mal si vous considérez que la loi que vous êtes chargé d’administrer est mauvaise et qu’en réalité je suis innocent, ou m’infliger la peine la plus sévère si vous croyez que le système et la loi que vous devez appliquer sont bons pour le peuple et que mon activité par conséquent est pernicieuse pour le bien public.”
J’ai trouvé dans la figure de Gandhi de nombreux liens avec les événements de Montreuil. La manifestation, la violence, la répression, l’injustice, l’engagement résistant et l’engagement du corps… J’ai eu envie d’écrire cela dans un film sans opposer l’Inde de Gandhi et le mode de mobilisation contemporaine.
D’où viennent les images et les voix?
J’étais en Corse lorsque j’ai commencé à travailler sur le sujet. Je me suis rendu à plusieurs reprises dans un cybercafé pour récupérer des sources sur internet. Toutes les images proviennent des archives de la Gandhi Serve Foundation. Elles sont toutes à l’origine des images tournées en pellicule en noir et blanc. Quant aux voix, elles viennent d’un documentaire de Lalit Vachani, Sur les traces de Gandhi, qui s’interroge sur la place des idées de Gandhi dans l’Inde d’aujourd’hui. On y entend que dans le contexte actuel, Gandhi brandirait une arme. Beaucoup d’Indiens y disent que la bonté ne vaut plus le coup, que les idéaux de Gandhi n’ont plus cours aujourd’hui et qu’il faut adapter la vérité à son profit. Et répondre à la violence par la violence.
Je ne voulais surtout pas faire un film qui dise ‟Voilà comment est le monde et voilà comment j’y réponds”. Je voulais laisser chacun face à ses responsabilités. Mais peut-être la vraie résistance est-elle dans une modulation de nos relations à l’autre. On ne sait pas trop si je dis ‟Révoltez-vous!” ou ‟Engagez-vous dans la non-violence”. Gandhi dit ‟Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde”…
Et le traitement des images?
La dimension picturale est très importante dans mon cinéma. Je ne voulais pas d’un ton documentaire. Mais plutôt de l’évocation d’un passé sous la forme d’un rêve, d’un souvenir. Un souvenir où les images se fondent les unes dans les autres. Les plans ne sont pas séparés les uns des autres. J’ai cassé les séparations physiques entre les images et les ai mises bout à bout.
Le mouvement des pixels que l’on voit tout au long du film est obtenu en forçant l’erreur numérique, ce qui produit un déchirement des images les unes entre elles, une interpénétration d’images. Les scènes n’étant plus contenues dans les plans (les séparations ont disparu), elles se déversent les unes dans les suivantes. On peut y voir le symbole de la blessure. Il me semble qu’il existe un rapport fort entre les hommes, les mouvements et la matière symbolisée par les artefacts numériques. La forme du film a un rapport direct avec l’idée de violence, de mouvement, de masses, de foules.
L’idée d’un film collectif renoue avec la tradition d’un certain cinéma engagé. Mais c’est aussi un film de commande. L’auriez-vous tourné seul?
Je ne sais pas si j’aurais fait un film s’il n’y avait pas eu l’impulsion de Nicole Brenez. D’un autre côté, j’avais envie depuis un moment de faire avancer mes films et de trouver comment m’exprimer sur cette société.