J’ai voulu retrouver le discours original de Valérie Pécresse qui était à la source de l’article de l’Humanité Les sciences humaines dans la ligne de mire de Pécresse paru le 4 septembre 2009. Il m’a fallu un certain temps pour remonter jusqu’au texte original. Je vous propose de comparer l’article et le discours. Et d’ouvrir la réflexion.
J’ai fait cette recherche pour deux raisons. La première est que les mots et les intentions rapportés par l’article de Ixchel Delaporte pour l’Humanité m’avaient scotchés. Comme si c’était la signature d’un retour vers une société totalitarisme. Seulement je me méfiais. Ces propos étaient rassurants dans le sens où ils confortaient mes positions et soutenaient par une preuve évidente ce mouvement que je discernais. Donc c’était un outil idéal de conversation sympathisante avec des semblables en accord avec ces idées. La seconde est qu’en écrivant un texte pour un livre je citais Descartes et les attachements de la pensée prométhéenne qui donnaient aux sciences un statut absolu. Elles seules devaient être constitutives de notre rapport au monde si nous voulions le maîtriser. Descartes posait ses idées il y plus de trois cent cinquante ans. Aujourd’hui, Valérie Pécresse enterrait semble-t-il tous les ‘progrès’ subjectifs en sciences sociales qu’il y a eu depuis. Je me suis senti piégé par mon rapport au texte. Trop utilitaire. Trop facile. Voyons d’abord des extraits du discours de Valérie Pécresse (en intégralité si vous suivez lets du lien) puis un extrait de l’article qui avait suscité mon intérêt (aussi en intégralité en suivant le lien).
Extraits de l’allocution de Allocution de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, à l’occasion de l’installation du Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales
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A l’heure de la bataille mondiale de l’intelligence, la tradition française d’excellence dans ces disciplines est un atout tout simplement exceptionnel. La France peut être fière de ses sciences humaines et sociales, fière d’être le pays de Bloch, de Febvre et de Braudel, de Lévi-Strauss, de Mauss et de Durkheim, de René Cassin et de Barthes, de Foucault, de Girard et de Derrida.
Ce n’est pas qu’une question de prestige ou de magistère moral et intellectuel. C’est un atout social, un atout qui a fait et fera beaucoup pour la grandeur et la compétitivité de notre pays. Mais encore faut-il reconnaître aux humanités et aux sciences sociales leur juste place. Et je me dois de l’ajouter, encore faut-il que ces disciplines ne craignent pas de l’occuper…
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Mais d’un autre côté, l’image de la culture littéraire ne cesse de s’infléchir : la part de la subjectivité et de la sensibilité y est survalorisée, aux dépens de la rigueur, du sens de la démonstration et de l’esprit d’analyse que les humanités et les sciences sociales requièrent tout autant que les sciences dites ‟ dures ”.
Cette image est fausse. Elle entretient le sentiment que les humanités et les sciences sociales constituent un univers certes respectable, mais parfaitement étanche et que les qualités qu’elles développent ou les savoirs qu’elles établissent n’ont pas d’influence sur la vie de la nation ou d’utilité dans la vie professionnelle.
C’est cette image qu’il nous faut changer. Elle fait en effet de la singularité des humanités et des sciences sociales une faiblesse. Avec, en retour, un risque : celui que la communauté ne s’enferme dans cette spécificité, à laquelle elle se trouve en permanence renvoyée.
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Ces questions sont en effet au coeur de toute politique en matière d’enseignement supérieur et de recherche : comment garantir l’insertion professionnelle des étudiants ? Comment accroître le rayonnement de notre recherche ? Comment reconnaître les projets les plus novateurs ?
Sur chacun de ces sujets, la communauté des humanités et des sciences sociales doit faire entendre sa voix singulière, non pour affirmer une irréductible spécificité, mais pour enrichir notre compréhension des défis qui s’offrent à nous et esquisser des solutions.
Sur l’insertion professionnelle, par exemple : pour qui reste prisonnier d’une approche mécanique du lien entre formation et emploi, il est facile de dresser un portrait caricatural des sciences humaines et sociales, qui seraient alors l’archétype des ‟ filières sans débouchés ”.
D’où une tentation que nous connaissons parfois, celle de refuser toute ouverture professionnelle et d’affirmer par contrecoup la gratuité du savoir et de la culture, qui sont à elles-mêmes leurs propres fins. Mais céder à cette tentation, c’est confirmer le jugement que l’on voulait réfuter. Et c’est aussi s’enfermer dans des débats qui, très vite, pourraient se révéler stériles.
[...] les sciences humaines et sociales ont tout pour figurer à l’avant-garde de la réflexion sur l’évaluation ou, pour utiliser les termes du rapport d’Alain Supiot, la ‟ valorisation ” de la recherche.
Car les humanités et les sciences sociales sont, par nature, particulièrement conscientes des difficultés qui accompagnent la construction d’une position objective. C’est en effet l’un de leurs sujets de réflexion privilégiés.
Forte des enseignements de l’épistémologie, de la sociologie, de la philosophie ou de l’anthropologie, la communauté des sciences humaines et sociales est sans doute la mieux à même de proposer des règles pour la construction d’un évaluation réfléchie et, pour tout dire, bien pensée. Et j’en suis certaine : de telles réflexions ne tarderaient alors pas à essaimer dans les autres disciplines, contribuant ainsi à aiguiser notre compréhension et notre pratique de l’évaluation.
Une chose est sà»re : rien ne serait plus préjudiciable à mes yeux que d’opposer à toute tentative d’évaluation le fait que les sciences humaines et sociales échappent par nature à l’objectivation. Sans doute l’objectivité est-elle toujours à construire et imparfaite. Mais poser son impossibilité dans ces disciplines, ce serait les vider de leur sens même.
Voici le très court extrait de l’article de l’Humainité de Ixchel Delaporte Les sciences humaines dans la ligne de mire de Pécresse paru le 4 septembre 2009.
Dans son allocution, la ministre exprime une volonté de reprise en main de disciplines considérées comme trop ‟ subjectives ”, trop indépendantes et, par conséquent, génératrices d’une pensée critique. En un mot, contestataires.
Effectivement le traitement journalistique du discours perturbe tant il a perdu toute objectivité. Le résumé est cinglant. Il soutient tous les prétextes de résistance que nous pouvons avoir vis à vis de ce positionnement de la ministre qu’évidement je désapprouve. Cet article est un acte revendicatif. Seulement il se concentre à la surface de la contestation. Celle qui n’est pas efficace et qui n’entraine que des bavardages. Je vois là plus largement au delà de la crise de la subjectivité un retour effrayant du principe d’évaluation. C’est l’outil scientifique garant de la productivité. C’est la méthode qui protège de tout. Si avant chaque action on évalue objectivement la situation, les accidents risquent de diminuer. Les accident c’est d’abord ce qui protège de l’uniformité. De la bêtise. Mais notre société tend à construire dans ce mot la perception de la somme de tous les dangers pour l’homme : l’accident serait négatif. On y risque notre peau. Et je sais que c’est faux. Ce sont les accidents qui nous sauvent. Comment on évalue objectivement quelque chose qui sort de la norme ? Quelque chose qui n’est pas prévu dans un mode opératoire ? Je travaille depuis trois ans dans un centre de formation professionnel où l’évaluation est maître. On en finit par effacer l’individu et son potentiel parce que ce n’est pas ce qui peut être évalué. On ne peut pas garantir cela.
Il faut résister contre l’automatisation des fonctions vitales de l’homme. Il faut échapper aux raccourcis cognitifs quand il s’agit de réagir à l’oppression menaçante. Il faut être productif au sens physique du terme. Rapporter ses opinions et circonscrire toutes les émotions par le bavardage peut être plaisant mais cela ne sert à rien. Il faut parler pour dire. Et là la journaliste ne dis rien, elle prêche à des convaincus. Pourquoi n’a t’elle pas construit quelque chose ? C’est son métier qui l’en empêche. Peut-être même qui la formate. Elle n’est pas constructrice, elle est rapporteuse. Mais qui le décide ?
ill. Les gens et leurs… JP, 2009.