Il y a quelques jours on m’a dit que ce film, il fallait le voir, qu’il y avait beaucoup de bruit autour et que c’était devenu un film culte chez les cinéastes… cela fait longtemps que je n’avais pas été à une séance de cinéma pour cinéphiles et cinéastes.. Le film passait encore une fois ce dimanche au mk2 Beaubourg en présence du réalisateur, Albert Serra et du célèbre Jean Douchet. C’était l’occasion de tenter peut-être une expérience cinématographique. La plupart des films que j’ai été voir ces dernières années n’ont pas enclenché grand-chose…
Nous sommes arrivés quelques secondes en retard à la séance. La salle était plongée dans le noir, je crois même que les lumières de sécurité à ce moment là étaient éteintes. Je ne distinguais ni ce qui se passait à l’écran ni le moindre siège où m’asseoir. J’ai pris la première place. Je me suis enfoncé dans le film. Je ne vais pas revenir sur ce qu’il raconte, ni sur le rapport entre le film et le Don Quichotte de Cervantès, non pas que cela n’ait pas totalement d’intérêt mais parce que je pense que ce n’est pas ce qui compte.
Le film met en scène l’errance, la fragilité, un espace singulier entre l’action et la contemplation. Il ne se passe presque rien. Il n’y a pas de but. Les quelques premières minutes, gêné par mon retard et le stress que cela insuffle, j’ai pensé, je me suis demandé ce que c’était cela, qu’est ce qui se passait, j’ai eu peur d’être face à un objet de collection pour intellectuels. Et je suis rentré dans le film. Je n’ai pas vu le temps passer. J’ai partagé avec les deux acteurs la compagnie de leurs personnages, les paysages de la catalogne, le soleil, les après midi, les nuits… j’ai erré sans m’ennuyer le temps du film.
Ce film n’est pas gratuit mais à aucun moment il ne semble être arrogant. La question c’est la vie, le cinéma, une façon de prendre le temps et d’en faire quelque chose à partager au-delà de l’idée de capitalisation parce qu’ici rien n’est amplifié, au contraire, Albert Serra l’a encore précisé dans les réponses aux questions qui lui ont étés posées, il a du jouer d’artifices pour désenclencher l’action parce qu’il ne fallait pas qu’il se passe trop de choses. Chaque plan devait concentrer cette idée qu’il n’ya que de l’errance dans les perspectives de ces deux hommes. S’il nous embarquait trop vite dans une action où s’il nous délaissait trop dans la contemplation, il pouvait nous perdre et nous laisser loin de ce qu’il voulait partager.
Cela a été un vrai plaisir de l’entendre s’exprimer après la séance. Il a le ton qu’il faut pour ne pas faire de son oeuvre une forme inaccessible qui aurait été le fruit d’une pensée minutieuse désengagée de la vie voulant parfaire une conception… Il a voulu son film, il l’a laissé vivre.
Je ne dirais pas que c’est un film culte, mais c’est un film à défendre. Mais qui est capable de le voir ? Entre nous, si vous l’avez vu, vous savez que peu de personnes se laisseront aller pour l’accueillir, ils auraient trop vite l’impression désagréable d’être agressés, de perdre leur temps, et même pour certains pire, de se retrouver seuls dans la forêt, face à eux…
Peut-être que je reviendrai sur ce film et ces histoires. Merci à Albert Serra et à ceux qui le défendent. Et honte à ceux qui bêtement l’acculent du vide parce qu’ils ne sont pas capables de voir que ce n’est pas cela qu’il y a à voir. On peut ne pas aimer mais il faut reconnaitre l’exercice de liberté qui a été magistralement rendu ici. Il n’y a rien de plus difficile que de faire un bon film contre l’action, contre la consommation, contre le temps capitalisé du plan pensé où la vie n’a pas lieu.
Peut-être qu’à mes yeux Albert Serra libère l’image de génération d’artistes coincés dans leurs têtes et dans leurs milieux. Peut-être que son travail est porteur d’espoir. A suivre et à voir.
Honor de cavalleria – Réalisé par Albert Serra – Avec Lluàs Carbà³, , Glynn Bruce Plus… Film espagnol (Catalan). Distribué par Capricci Films – Séances partout en france -