Je réagis sur le vif à la lecture de notes lues dans le programme du centre Pompidou. La première concerne une intervention sur le dernier livre de Catherine Millet au centre Pompidou, intitulée l’art de la critique. Elle y pose des questions ‟ pertinentes ” : ‟ Depuis quand l’art moderne est-il devenu contemporain ? Comment expliquer qu’il s’engage dans des voies si contradictoires ? Quand les frontières avec la mode, l’architecture, le film documentaire ou même les objets rituels deviennent très floues, peut-on faire rentrer cet art dans une définition ? ” L’auteur du texte, certainement le conférencier qui tiendra la parole : Jean-Yves Jouanais rajoute cette question : ‟ Comment dans ce contexte instable, exercer l’art de la critique”. La seconde annonce une conférence de Roger Buergel : ‟ la documenta 12, une migration des formes ” R. Buergel est le directeur artistique de la dite documenta qui se tiendra à Kassel l’année prochaine. Il est aussi critique, commissaire et historien d’art. R. Buergel vient à Paris pour présenter ses intentions et ainsi celles de la prochaine documenta : ‟ Is modernity our antiquity ? ” (La modernité est-elle notre antiquité ?) ‟ What is bare life ? ” (Qu’est ce que la vie à nu ?) ‟ What is to be done ? ” (Que faut-il faire ?)…
Je réagis à vif, parce que quand je lis cela, ce n’est pas ma curiosité qui se réveille, rien de violent non plus, je ne pars pas en guerre contre l’art contemporain, mais je me sens mal à l’aise. Je devrais certainement adopter une attitude indifférente face à ces réflexions qui à mon sens sont encore à la préhistoire de ce que devrait être une philosophie de l’art.
Qu’est ce que donne la critique ? Depuis quand l’art moderne est-il devenu contemporain ? A quoi sert ce questionnement ? Est-ce qu’il ne fige pas l’art dans sa réflexion ? Quelle est l’utilité de cette qualification ? Pour de vrai, pour moi, pour vous ? Les énergies qui se concentrent sur ces problématiques et qui vont jusqu’à en faire des questions fondamentale échappent à la vie.
J’aimerais que l’art échappe au monde de l’art tel qu’il l’est. Il y a trop de distance entre la création et la société (les hommes). Il y a de moins en moins de dialogue, la curiosité s’étouffe.
Qu’est ce que la vie à nu ? Est-ce l’art de la critique et le règne de l’art pour les historiens et les critiques d’art ? L’art des collectionneurs riches qui collectionnent l’art parce que c’est mieux que de collectionner autre chose ? L’art s’est engagé avec l’avancé de la société occidentale sur la même route qu’elle. Il a perdu le lien fondamental à la nature, et avec sa propre nature. Il s’est mis à jouer des principes et des concepts civilisés, socialisés qui tendent des réseaux rassurants et euphorisants entre ‟ les hommes de bon goà»t ”. Y’a-t-il une pathologie de ces comportements ?
Qu’est ce que cela veut dire que des hommes fassent des choses qui leurs sont étrangères, ils sont passionnés, et s’engagent dans des voies réflexives fortes, des choix qui leur prennent un temps fou. La question de la modernité est une de ces voies. La qualification des choses devient théorique, finalement les oeuvres ne sont plus en général des formes sensibles mais des formes intellectuelles et leurs formes visibles ne sont plus que le support à leurs idées. Ces supports entrent dans une culture visuelle désincarnée et finalement les collections d’objets sont abstraites de leurs visages. Et leurs visages finissent par se ressembler. Et maintenant qu’avec le temps les idées s’estompent et que les profondeurs abyssales des intelligences nouvelles se réduisent à de petites idées en surface, l’esprit des formes ne fait plus partie que d’une image culturelle des objets. On les collectionne parce qu’ils se ressemblent plus ou moins et qu’ils tiennent en main certaines choses établies. Ils parlent à une culture. Et l’ingéniosité quand elle se manifeste, se réduit à n’être qu’une manipulation habile et souvent inconsciente qui aide la mémoire à être prise sur le vif.
D’après le programme du Centre Pompidou, septembre, octobre, novembre 2006.