Hier soir je discutais avec deux amis de l’exposition de Jean-Luc-Godard qu’il y a au centre Pompidou. Je reviens un peu sur cette discussion car il me semble que je peux en tirer quelques réflexions, on verra…
L’un de ces amis qui travaille au ministère de la Culture, m’a raconté l’histoire de cette exposition. Depuis toujours il y a eu la volonté du centre Pompidou de proposer une carte blanche à Godard… Lui a joué avec eux et à chaque proposition du musée qu’il rejetait suivait un projet qu’il voulait irréalisable qui était logiquement refusé par l’institution.
Finalement, l’acté a été signé pour cette exposition. Mais encore une fois le projet s’est montré irréalisable et finalement stoppé. Et ce qui est montré est un composite de cette impossibilité, avec la présentation de la maquette de ce qui devait être fait, et d’éléments construisant un exposé de ces impossibilités et de cet état des choses non finies, collées les unes aux autres armées de cinéma… L’accent est mis sur cette hâte, sur le manque de temps, l’impossibilité seconde de réalise cette exposition de remplacement à temps.
Pour remonter l’idée, je vous renverrai à l’article d’Antoine de Baecque dans le libération du Mercredi 12 juillet 2006 (L’ »expo Godard », compromissions impossibles – Une expo abandonnée dans une expo inachevée) et dont voici une petite citation: D’autre part, Godard est parvenu à monter sur le piédestal du martyr, victime de la bureaucratie prétendument radine du centre Pompidou. C’est une posture, celle du sale gosse gâté qui fait payer Beaubourg après avoir été payé (un million d’euros au total). L’expo Godard est donc une « catastrophe », mais l’artiste en est fier car cette défaite de l’art était le coeur même de son projet : il a réussi dans son entreprise de fond, qui était sà»rement moins de proposer une exposition de son cru, de ses images et de ses collages, que de mettre en scène sa victoire sur l’institution par destruction radicale et apocalypse définitive.
L’autre ami qui elle a vu l’exposition, a aimé, le jeu proposé l’a fascinée. Les signes sont parmi nous. Au visiteur de les interpréter. Et je la comprends, c’est vrai que cette proposition m’aurait parlé il y a une dizaine d’années, et que cette démarche, d’un artiste qui se place en position de martyr et affirme son impossibilité de faire et plus particulièrement de faire avec l’institution, cette démarche m’aurait saisie. Mais aujourd’hui elle me fâche.
Je ne suis pas en colère, et je ne le signale que parce que je prends cette exposition comme un prétexte pour parler de ce que l’art exposé me fait dire. Je ne vais pas redire ce que j’ai déjà dit sur Jean-Luc Godard au centre Pompidou. Je pense à la couleur de nos ennemis, une citation de Jean-Christophe Victor que j’avais postée ici et qui finissait par: Etranges Occidentaux que nous sommes, façonnés et fascinés par notre occident, si sà»rs de nous dans le regard que nous portons sur les autres mondes.
C’est là que je veux en venir. C’est sidérant à quel point nous vivons dans nos sphères mentales. Une grande partie des hommes vivent uniquement dans leurs représentations, dans leurs cultures. Les philosophes du droit naturel moderne font parfois remonter notre origine à un contrat social que nous aurions, au moins virtuellement, passé entre nous pour entrer dans le collectif qui nous fit les hommes que nous sommes (Michel Serres, Le contrat naturel). Nous vivons unis en microcosmes sociaux. La nature nous est extérieure, c’est un objet à penser. Et pour revenir à l’art, c’est aussi un objet à penser? J’ai aussi pensé cela, j’ai joué à cela, et c’est évident que cela a été le moteur à un moment donné de mon travail, de ma vie. Mais j’ai vu rapidement que cela se passait sans moi. L’articulation de ces pensées et de ces états mettait en scène une dynamique que je ne qualifierais pas de naturelle. Je m’avancerais à parler d’une adolescence de la pensée qui serait l’art critique de considérer les choses comme extérieures et de les laisser fuir dans une spirale intellectuelle. Cette culture du goà»t, des sensations qui se formeront là ne sera qu’une illusion.
En disant cela je ne cherche pas à énoncer de vérité ni à proposer de théorie, je donne simplement un avis qui ne me met pas hors de cause. Je fais partie du jeu. Je critique une partie de l’art. Je critique la société. Je critique cette façon que nous avons de vivre en dehors de la réalité naturelle des choses, et je critique les choses qui sont de plus en plus fréquemment des appareils au service de notre pensée. L’art ne doit pas être à mon sens une machine microcosmique. Je le crois universel. Ce que je veux dire c’est que je ne pense pas que la construction d’idées servant une réflexion sur l’état des idées nous conduise dans une direction juste. Je ne pense pas que c’est ce dont nous avons besoin. Je suis sur que nous avons besoin de revenir vers nous, de trouver dans les images et les idées de la place pour être libre. Et cette liberté je trouve qu’elle manque cruellement aujourd’hui.
La surcharge d’informations, la complexité du monde, la vision globale que nous avons et l’impossibilité de la synthétiser nous donne certainement envie de devenir plus intelligents encore, plus capables de produire des architectures de pensées transversales. Nos désirs et nos curiosités sont de plus en plus contextualités, culturels, nous avons de moins ne moins les pieds sur terre. La concurrence et de plus en plus dure. La distance réelle entre le gens est de plus en plus grande. Nous ne parlons plus de nous mais de ce que nous faisons. Nous ne parlons plus de objets mais de ce qu’ils fonts.
Qu’est ce que fait l’exposition de Godard dans le monde de l’art? Qu’est ce que fait Godard dans l’art? Qu’est ce que fait Godard dans le cinéma? C’est à ce questions que je ne veux pas répondre et c’est celles-là même que j’ai envie de critiquer pour dire, que j’ai envie qu’on se demande, qu’est ce que me fait réellement Godard? Est-ce qu’il me touche en dehors de mes a priori? Est-ce qu’il me fait du bien?
illustrations : le thème solaire de Jean-Luc Godard par Frédéric Martin;Jean-Luc Godard, collector box, music Field; et Intelligence : experimental typeface design workshop /Department of Graphic Design at the Institute of Design at Lahti Polytechnic in Finland.