Aux temps de l’Iliade et de Goya, le monde ne passait pas pour fragile ; au contraire menaçant, il triomphait aisément des hommes, de ceux qui gagnent les batailles et des guerres elles-mêmes. Le sable mouvant absorbe ensemble les deux combattants ; le fleuve menace d’engloutir Achille – vainqueur? –après avoir charrié les cadavres des vaincus.
Le changement global qui s’amorce aujourd’hui non seulement amène l’histoire au monde, mais transforme aussi la puissance de ce dernier en précarité, en une infinie fragilité. Victorieuse jadis, voici la Terre victime. Quel peintre figurera les déserts vitrifiés par nos jeux de stratégie? Quel poète clairvoyant se lamentera de l’aurore ignoble aux doigts sanglants?
Michel Serres , Le contrat naturel, Champs, Flammarion